L'affaire Klapahouk (retour au sommaire)
Véronique Je rêve à ma famille, les problèmes que jai eu dans ma famille et des fois ça me revient, je pense à ma mère, à mon père, ce quils disent, quand ils discutent, jécoute et jenregistre mais ma mère, elle est malade, elle a eu une baisse de tension et puis jai été la voir, elle a pleuré parce que jétais contente de la revoir. Je suis en guerre quand mes frères buvaient, il y avait toujours des accidents, ma mère elle pleurait tout le temps, mes petits neveux se sauvaient, moi ça me faisait mal, et mon père il se battait. Maintenant je suis contente de faire une autre vie, parce que jai assez vécu, jen ai assez entendu.
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Ce monde trop caché de la folie. Dans Family Life, le médecin qui laissait ses malades délirer, au lieu de les abrutir avec des calmants, était finalement contraint de partir. Cest le même risque que court aujourdhui le docteur Klapahouk, médecin-chef du service C à lhôpital psychiatrique de Saint-Dizier. Et, cette fois, ce nest pas du cinéma. Quelle quen soit lissue, la crise qui secoue le vieil hôpital départemental de la Haute-Marne aura eu, au moins, ceci de salutaire : elle a quand même brisé la conspiration du silence qui, aussi épaisse que les murs des asiles, fait de la folie un monde clos, caché. Plus gardiens quinfirmiers. Sur cet univers-là, laffaire de Laxou (Meurthe-et-Moselle) déjà, avait jeté des flammes bien vite étouffées. Cest quen vérité, chacun a peur de regarder dans le miroir que lui tend le malade mental. Quand parle-t-on des fous ? Lors dun internement arbitraire, ou dun massacre dinnocents. Bref, quand on ne les fait pas sortir assez vite ou quand on les a fait sortir trop vite. Sur ce qui se passe, une fois quils sont enfermés, moins la société en sait, mieux, semble-t-il, elle se porte. Elle paie pour ne rien voir. A Saint-Dizier, le docteur Klapahouk est celui par qui le scandale est arrivé, mais il nest pas le premier à lavoir dénoncé. Ses collègues, ses prédécesseurs, ont, eux aussi, fait le procès dune administration tatilllonne, de ses vieux surveillants dont le recrutement ressemblait parfois davantage à celui de gardiens quà celui dinfirmiers. Mais ils réservaient leurs critiques aux rapports confidentiels et aux réunions intimes. Il faut, écrit un médecin, parti depuis, avoir vécu ces situations déprimantes pour saisir à quel point dabsurdité peuvent mener certaines gestions aveugles. Le même indique quon laisse les malades croupir dans des lieux misérables , et tient les médecins pour déternels quémandeurs . Un autre médecin-chef, également parti, signale quil a dû écrire cinq fois à ladministration pour obtenir, au bout de deux mois et demi, la réparation dune fuite deau. Le même évoque, outre la vétusté des locaux, les mesures coercitives de la direction et ses dispositions rétrogrades . Il existe un document plus accablant encore. Cest la thèse écrite sur lhôpital de Saint-Dizier par M. Jean Decabooter. Lauteur y montre ce quétait la psychiatrie traditionnelle. Comment les médecins-chefs de la vieille école visitaient (lun toujours accompagné de son chien) leurs services : à peu près comme un adjudant procédant à une revue de paquetage. Comment les surveillants comptaient leurs patients à la façon des gardiens de prison. Comment lélectrochoc était utilisé pour dominer les malades, anéantir leur volonté. Jétais, dit lun, une cigarette qui se consumait en présence du soleil . Le soleil, cest, bien sûr, le médecin. De désespérance en désespérance. Ces psychiatres ont dénoncé les vieilles méthodes. Puis ils sont partis. Ou lon rentre dans lordre, dit un psychiatre des hôpitaux, ou on ne tient pas le coup et on sen va. De désespérance en désespérance. Parfois jusquau suicide. Ladministration invoque souvent cette valse des médecins pour expliquer son conservatisme : chacun veut autre chose, dit elle en substance. Or, la vérité est que les psychiatres qui se sont succédé ces dernières années à Saint-Dizier demandent tous à peu près la même chose : que la loi soit appliquée. La loi, cest-à-dire la politique de secteur, officiellement adoptée en France depuis maintenant 13 ans. De quoi sagit-il ? De réserver lhôpital aux cas graves et de créer dautres équipements plus légers : dispensaires, ateliers protégés, foyers de post-cure. Ces dispositifs existent déjà depuis plusieurs années dans le 13ème arrondissement, à Paris, et à Villeurbanne, dans la banlieue de Lyon. Ailleurs, on a beaucoup de mal à les mettre en place. Les principales résistances viennent de ladministration. Pas seulement parce que le traitement de directeur est fonction de la taille de lhôpital. Mais parce quil est toujours plus délicat de contrôler des soins diversifiés que de compter des prix de journée. De préparer des infirmiers à communiquer avec les fous au lieu de les surveiller. Pas de baratin avec les malades. On ne leur parle pas, on les soigne , dit lun des infirmiers qui se sont mutinés contre le docteur Klapahouk. Mais comment les soigner sans chercher à saisir leur vérité à travers leur délire ? Cette thérapeutique-là est longue, aventureuse. Mais cest la seule qui, en létat actuel des connaissances scientifiques, porte en elle des espoirs de guérison. Nous avons un malade qui se mutilait, raconte un médecin, un petit enfant. Comment le sauver ? Un jour, on sest aperçu que quand on lui tenait la main il ne se frappait plus. Maintenant, il a dix ans. On est aux anges, parce quil réussit a tenir quelque chose dans sa main. Pour nous cest un signe de résurrection, cela veut dire quil se considère comme un objet parmi les objets, et quil va peut-être retrouver sa place dans le monde. Mais comment faire comprendre cela à un administrateur ? Il reste que, quelles que soient les réticences quelle rencontre, la politique de secteur finira par entrer dans les faits. On ne pourra plus encore très longtemps sanctionner léducateur qui donne des lapins à caresser à ses jeunes patients. Ni accorder des bulletins de sortie aux malades mentaux comme on délivre des permissions aux soldats du contingent. On saura alors si les super-civilisés du monde occidental, ont le courage de regarder en face cette image déformante deux-mêmes, un fou. François JACQUEMONT.
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Dossier de presse Dans le Monde du 15-11-1973, Francis Cornu présente sous le titre Des infirmiers qui ne croient pas à la psychiatrie, une synthèse du conflit qui opposa le médecin-chef au personnel de son service. Nous ne reproduisons pas cet article et préférons restituer lintégralité des articles de presse locaux qui introduisent mieux, dans leur succession insistante, au vécu du conflit marqué par ses inquiétudes et ses non-dits.
Reprendre la lecture d'André Breton. |
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