Objets et limites de la psychiatrie.


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Le camée Léon venait de prendre la parole. Il balançait devant moi son petit plumeau en me parlant à la quatrième personne comme il sied à un valet de son espèce nuageuse. Avec tout l'enjouement dont je suis capable je lui objectai successivement le vacarme, l'idiotie parfaite des étages supérieurs et la cage de l'ascenseur qui présentait aux nouveaux venus une grande seiche de lumière. Les derniers entrants, une femme et un homme de la navigation amoureuse, désiraient parler à Madame de Rosen. C'est ce que le camée Léon vint me dire, lorsque la sonnette retentit et que le brillantin se mit à glisser. De mon lit je n'apercevais que la veilleuse énorme de l'hôtel battant dans la rue comme un coeur; sur l'une des artères était écrit le mot : central, sur une autre le mot : froid, froid de lion, froid de canard ou froid de bébé? Mais le camée Léon frappait de nouveau à ma porte. De son gilet aux vibrations déterminées jusqu’à la racine de ses moustaches le soleil achevait de décharger ses rondins. Il prononçait des paroles imprudentes, voulant absolument m'ennuyer. J'étais alors terrorisé par la douceur et le contrat de vigilance qu'avaient voulu me faire signer les amours du pied de table. Le grand épauleur de lumières me demandait de lui indiquer la route de l'immortalité. Je lui rappelai la fameuse séance de l'imprimerie, alors que descendant l'escalier de coquillages, j'avais pris l'ignorance par la manche comme une vulgaire petite dactylo. Si Je l'avais écouté, le camée Léon serait allé éveiller Madame de Rosen. Il pouvait être quatre heures du matin, l'heure où le brouillard embrasse les salles à manger à brise-bise orangé, la tempête faisait rage à l'intérieur des maisons. La fin était venue avec les voitures de laitiers, tintinnabulante dans les corridors de laurier du jour maussade. À la première alerte, je m'étais réfugié dans le cuirassier de pierre, où personne ne pouvait me découvrir. Usant de mes dernières ressources, comme lorsqu'on abandonne aux liserons une machine agricole, Je fermais les yeux pour épier ou pour expier. Madame de Rosen dormait toujours et ses boucles lilas sur l'oreiller, dans la direction de Romainville, n'étaient plus que des fumées de chemin de fer lointaines. Le camée Léon, il me suffisait de le fasciner pour qu'il prît les fenêtres béantes par les ouïes et allât les vendre à la criée. Le jour n'entrait qu'à peine sous la

forme d'une petite fille qui frappe à la porte de votre chambre : vous allez ouvrir et, regardant devant vous, vous vous étonnez d'abord de ne voir personne. Nous serions bientôt, Madame de Rosen et moi, prisonniers des plus agréables murmures. Léon changeait l'eau des magnolias. Cette prunelle qui se dilate lentement à la surface du meurtre, prunelle de licorne ou de griffon, m'engageait à me passer de ses services. Car je ne devais plus revoir Madame de Rosen et le jour même, profitant d'une suspension de séance pour me rafraîchir, - cette nuit-là grand débat à la chambre des lords - je brisai sur une marche la tête du camée qui me venait de l'impératrice Julie et qui fit les délices de la belle unijambiste des boulevards.

André Breton in Poisson soluble.


















































































Parcours dans la ville en agitant le nom de Breton. Retour en ville.Retour à l'Hôpital André Breton.

Retour à l'Hôpital André Breton.

Retour en ville

La guerre.

La Marina

La Marina fut construite à l’initiative du Docteur Chaussinant avec l’aide des patients de l’asile psychiatrique de Saint-Dizier. Récit de cette épopée :

Il est connu depuis longtemps qu’il y a, à la sortie de Saint-Dizier, vers Marnaval, des sources en un lieu appelé la Marina. Pourquoi ce nom ? Nous n’en connaissons pas l’origine, on a parlé d’un lieu où les mariniers venaient chercher une eau réconfortante, je crois plutôt qu’ils préferaient le vin des vignes de Gogny ou de La Noue (le mot marinier s’applique aussi bien à ceux qui fabriquent des bateaux qu’à ceux et celles qui exploitaient, débitaient le bois des forêts et naturellement ceux qui les conduisaient).

Il y a une pharmacie d’origine très ancienne puis-qu’elle était gérée avant les années 1850 par un pharmacien appelé Victor Legrip. Connaissant la renommée des sources de la Marina, son esprit entreprenant et lucratif lui donnait à penser qu’il y avait de l’argent à tirer de cette eau. Nous sommes dans les années 1850-1860 et cette eau ferrugineuse est connue et ordonnée même par le corps médical. Victor Legrip cherche des références : il les trouve auprès du docteur Pierre-François Catel qui écrit que depuis 1812 il a ordonné à Saint-Dizier et vu ses confrères (Bernardin, Bartolin, Régnier, Chevillon et Guillemenin) ordonner les eaux de la fontaine Marina aux jeunes personnes faibles, à celles qui présentent les symptômes de la chlorose, de la gastrite, de la dyspepsie, en un mot de toutes les affections nerveuses des organes de la digestion et ce avec succès (25 Janvier 1854). Récoltant d’autres certificats (des docteurs Fernand et Adolphe Cartel), Victor Legrip, en bon chimiste, y ajoute une description des propriétés physiques et une analyse des propriétés chimiques de cette eau. Le tout fut envoyé à l’Académie de médecine pour étude, qui renvoya sous la plume du docteur Ossian Henry un rapport élogieux.

Conforté dans ses idées, Legrip fit parvenir ce dossier au Ministère de l’Agriculture, du Commerce et des Travaux Publics qui par un arrêté du 14 Mars 1860 autorise l’exploitation des eaux de la fontaine Marina pour l’usage médical. Au même moment, Victor Legrip avait sollicité le conseil municipal de Saint-Dizier pour l’exploitation de ces sources (elles étaient situées sur un terrain marécageux appartenant à la ville, à peu de distance d’une forêt qui est un domaine privé.) Le conseil municipal se réunit le 5 Mai 1860 pour examiner un projet de bail ; celui-ci prit corps le 7 Juin suivant après qu’une commission en eût examiné les détails. Ce bail accordait à M. Victor Legrip le droit exclusif d’exploiter à sa frais et risques la source minérale dite “ Fontaine Marina ” pour 3, 6, ou 9 ans au choix de l’intéressé. Il fit une publicité importante, avec descriptif, plaquette indiquant les propriétés physiques, les analyses chimiques sans oublier les références. Il fit même fabriquer des bouteilles spéciales pour l’exploitation de l’eau hors de la commune. Il escomptait un succès légitime qui ne lui fut pas accordé car “ les coquetteries de la jeune fontaine des Fourches, mieux aménagée et non moins ferrugineuse détournèrent peu à peu les amis de la fontaine Marina et elle connut la pire des misères, celle de l’abandon ”. Si bien que lorsque le bail de M. Legrip vint à échéance, personne ne fut tenté de le reprendre et le conseil municipal de désigner une commission chargée d’étudier l’aménagement de la Marina “ puisqu’il n’y a plus qu’une fontaine réduite à l’état de cloaque et que seules les bêtes les plus répugnantes de la forêt osent aller s’y baigner et s’y désaltérer. ” L’architecte M. Fisbach fut chargé pour la commune d’étudier l’aménagement de la source ; il y eut même un devis se montant à 1204,97 francs. Mais nous étions en 1870 et d’autres préoccupations retinrent l’attention de la mairie. Et tout reste en l’état, c’est-à-dire que le temps passant, les aménagements disparaissent peu à peu et plus rien n’en restait à la fin du siècle dernier : on n’allait plus à la Marina, on passait devant un bourbier pour se rendre devant un stand de tir situé à peu de distance.

Mais, quelques années avant 1900, il y avait pour diriger l’asile départemental un médecin nommé le docteur Chaussinant. Ce médecin, curieux de tout, avait pensé que donner à ses pensionnaires un but utile et agréable pouvait avoir un effet bénéfique sur leur comportement. Après plusieurs mois de tractations, il obtint de la Municipalité le droit de remettre en état les sources de la Marina. Les travaux commencèrent en 1902. Les principaux bassins seront surmontés d’une rocaille originale, réalisée par les pensionnaires de l’asile dirigés par M. Vernier qui était le ferblantier de l’établissement. Ils sont faits de rocailles aux formes étranges qui rappelent vaguement des animaux fantastiques et des têtes humaines grotesques. Il y a aussi des bancs et d’énormes sièges formés d’un seul tronc d’arbre où l’on s’assied dos à dos. C’est au rond-point de la Marina que les “ attractions mondaines ” se sont données rendez-vous. Il y a aussi le Casino qui n’est encore qu’une simple bâtisse ornée d’affiches qui vantent les mérites de la bière du Fort Carré et la liqueur de Léonce Burgeat, “ La Burgeatine ” ; on y débite des gauffres, des brioches, des patisseries sans oublier les miches de pain et les tranches de jambon et de saucisson.

Il y a beaucoup d’animation ces jours-là et si les gamins s’amusent sur les balançoires, les jeunes dansent au son des pistons, de clarinettes et de violons, des polkas, des mazurkas et des quadrilles. Il y a aussi un kiosque en bois rustique qui abrite tour à tour les diverses sociétés musicales de la ville. Un peu plus loin, une superbe bête, la lion brayard construit en pierres de Chaucenay ouvre une gueule énorme qui ne semble pas effrayer les enfants. Plus loin encore, un petit pavillon à claire voie où se cache une source nommée blanche fontaine pare qu’elle se trouble facilement. A côté la fontaine bragarde, forteresse miniature en bois avec muraille, pont-levis, blason de Saint-Dizier. A côté encore, une grenouille énorme crache de l’eau ferrée. Un peu plus loin, un tonnelet s’enfonce dans la terre et son robinet laisse échapper quelques gouttes. Bref, il y a une dizaine de sources bien aménagées par le docteur Chaussinant et ses pensionnaires. Ces lieux bucoliques ont attiré la jeunesse bragarde et on ne compte plus les amours qui se sont découvertes. Ils ont aussi inspirés les poètes bragards, comme ce qu’écrivit Paul Durand en 1912 :

A Monsieur le docteur Chaussinant,

J’ai revu la vieille fontaine

Où j’aimais à boire, l’été,

Lorsque dans la forêt lointaine,

J’allais me refaire une santé.

Elle est toujours non loin du chêne

Qui, jadis, m’avait abrité

Et sans lui, la chose est certaine,

J’en eusse à jamais douté.

Car, devant les superbes choses,

Qui, comme des apothéoses,

Ont charmé mon coeur et mes yeux,

Un instant, oh, pourquoi le taire,

J’ai rêvé que, fuyant la terre,

J’errais dans le séjour des dieux.

Mais l’activité du docteur Chaussinant était débor-dante. A côté de ces fontaines, se trouve un étang appartenant à M. Hourdillat, receveur principal et ami. Il le lui achète en 1903 et commence à l’aménager. Cet étang de quelques 500 mètres de long a été assaini, des îles artificielles ont été créées, elles sont ornées de kiosque et plantées d’arbres aux esssences bizzares et dotés de noms charmants :

- l’île de la Semeuse parce que la girouette de son pavillon représente une semeuse dont Roty a fait les nouvelles pièces de monnaie.

- l’île du moulin joli plantée de sapins noirs et de frênes pleureurs au milieu desquels s’élève une maisonnette en fil de fer.

- près de l’embarcadère (surnommée Port Arthur puisqu’en 1902, il y avait la guerre sino-japonaise), une autre île abrite une chaumière dont les murs imitent le ton de brique et où sont peintes en trompe-l’oeil des fenêtres avec des figures grimaçantes.

- l’île souriante doit son nom aux clochettes qui augmentent le toit du kiosque peint en rouge vif et vert tendre.

Pour aller de l’une à l’autre, une longue passerelle monte et descend telle des montagnes russes. Sur l’eau des cygnes géants et des oies gigantesques, immobiles et figées au fil de fer peinturluré en blanc. Voilà ce qu’on pouvait voir en ce début de siècle à la Marina. Tous les ans, l’équipe bénévole du docteur Chaussinant, de son ferblantier Vernier et de ses “malades ” va entretenir, peindre, ajouter des motifs pour attirer toujours davantage les bragards. Seule la guerre de 14 viendra restreindre cette joyeuse et champêtre activité.

Les sources de la Marina se sont taries. Restent les poètes :

Aux Promeneurs de la Marina

Au temps de la première sève,

Parcourant ce bois enchanté,

J’ai fait un magnifique rêve

Qu’ici même j’ai raconté.

Avant que la lointaine grêve

Attire le flot indompté

La verte Marina, sans trêve,

Depuis cet instant m’a tenté.

En allant la revoir, dimanche,

Il m’a semblé qu’à chaque branche

Pendaient des rimes à cueillir.

Voici celles que je rapporte ;

Pour que le vent ne les emporte,

Amis daignez les recueillir.

Paul Durand

Jean Dupont .