L'affaire Klapahouk (retour au sommaire)
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Après notre entretien avec G. Daubié, nous pouvons affirmer que celui-ci, forte personnalité, prenant son travail à cur depuis bien des années, militant du P.C., nest pas homme à choisir son camp pour des raisons purement promotionnelles. On peut avancer que Daubié et les quelques infirmiers qui ont suivi Klapahouk expriment sans aucun doute les intérêts dune aristocratie professionnelle séduite par le discours médical moderiste et consciente des ouvertures qui lui sont implicitement offertes. Toutefois, pour cette aristocratie , prendre parti pour Klapahouk, cest se mettre au mieux à la traîne, au pire sous la dépendance dune idéologie qui sapprête à faire des infirmiers les exécutants dintellectuels qui pensent la maladie mentale. Les rôles sont une fois pour toute distribués, et les infirmiers sont bien placés pour le savoir : il y a ceux qui démerdent le malade quarante heures par semaine, et celui qui condescend à le voir une demi-heure tous les quinze jours. Daubié, jusqualors délégué C.G.T., paie sa prise de position en faveur dune psychiatrie qui pense la sectorisation comme un moindre mal, par le retrait de la confiance que ses collègues lui accordaient comme responsable syndical. Le communiqué de la C.G.T., pour sa part, ne pose les problèmes quen termes de stratégie défensive (du personnel, des malades, le tout en recourant aux habituelles demandes de crédits). Les problèmes de fond ont-ils des chances dêtre posés de cette manière ? Le conflit est escamoté par la C.G.T. qui ne prend aucune position claire, et il ne faut pas sétonner dans ces conditions que les auteurs du communiqué syndical soient eux-mêmes grillés auprès de leurs collogues grévistes du Service C. Cela dit, une perspective nouvelle souvre-t-elle avec les infirmiers mutins ? Il nen est malheureusement rien, et comme ladministration sur laquelle ils sappuient, les infirmiers du service C demeureront muets et resteront insensibles à nos sollicitations répétées ? Prolétaires de la folie ? Lanalogie avec les travailleurs dusine est inadéquate. Exploités, traités par les médecins co¦nme des individus de seconde zone. Les infirmiers néanmoins jouissent dune position de pouvoir qui participe du pouvoir médical et le médiatise : il y a toujours des fous à lextérieur pour justifier les murs de lasile. Comment devient-on infinnier psychiatrique à Saint-Dizier ? Surement pas par vocation, plutôt par recherche dune sécurité de lemploi dans cette région au devenir économique incertain, secouée de surcroît par des conflits sociaux durs. Jusquen 1950 le personnel ne reçoit aucune formation, ce qui le justifie pleinement dans sa fonction de garde-fou et accrédite limage de linfirmier musclé. Lintroduction, vers les années cinquante, de la chimiothérapie combinée à lélectrochoc (1938) fait accéder le corps infirmier à la possibilité dune fonction soignante sous la baguette des psychiatres magiciens assurés dans leur Science du soutien de lindustrie pharmaceutique. En fait daccès à la fonction soignante, voyons ce quil en est. Quelques infirmiers des services A et B rencontrés hors de lasile prennent la parole. Maintenant les médecins se méfient, on ne nous changera plus de service comme ça... , nous dit un infirmier déplacé par Klapahouk avant que le conflit néclate ; (...) encore aujourdhui si je rencontre Klapahouk, je lui casse la gueule . Il poursuit avec fougue sur ses activités antérieures au pavillon des enfants, activités qui seront ignorées de façon méprisante à larrivée dun éducateur spécialisé : Il ne ma même pas demandé mes observations sur les progrès des enfants. Une jeune infirmière parle des tensions permanentes avec les collègues plus âgées - critiques continuelles sur la tenue, sur le rangement du linge dans les armoires, etc. Parler avec les malades cest perdre son temps , disent-elles. On devrait avoir le temps de leur parler, cest difficile dêtre toujours disponible... davoir le sourire lorsquil sagit souvent de démerder les malades... si au moins lhôpital embauchait des aides. Spontanément ces jeunes infirmiers sensibles à leur fonction soignante potentielle saccommoderaient de lembauche d aides soignants hospitaliers , chargés dexécuter les basses besognes (ce à quoi sopposent les syndicats, qui voient là un danger réel de déqualification de la profession). On nest pas des machines... avec le docteur Nique au moins on pouvait aller nimporte quand dans son bureau et consulter les dossiers des malades sans même lui demander son autorisation... puis il y avait les réunions, il se taisait, pour que nos tensions, notre agressivité sortent. Quelque peu mystérieux, un infirmier nous confie à propos dun psychiatre actuellement en poste : Lui aussi, il monte à Paris deux fois par semaine (Saint-Dizier, centre provincial, oblige les psychiatres à aller faire leur analyse à Paris). La psychanalyse est pressentie par les infirmiers comme un univers ambigu dont ils se savent exclus, mais qui ne leur est pas étranger puisquil les imprègne quotidiennement dans leur pratique par les effets du discours des psychiatres. Ces derniers, dailleurs, dans cette phase daccumulation primitive du savoir analytique chèrement tarifé , maintiennent jalousement leur privilège de caste. Lun deux, sans aucun doute de bonne volonté, nous a fait sourire en suggérant que les infirmiers sur-doués soient mieux payés afin quils puissent entrer en analyse . Psychanalyse ? On chercherait en vain ce mot dans le programme de formation des élèves infirmiers (année 1973), il ny figure pas. Il y a là plus quun oubli, il faut y voir une intention délibérée de limiter le savoir infirmier ; pas dEcole Freudienne pour les sous-traitants de la folie. Le regretter ou sen réjouir ne résout pas la question et contribue au contraire à masquer le problème. Outre le caractère culturellement nettement marqué de la psychanalyse, cela a-t-il un sens de proposer quun corps de travailleurs (fussent-ils infirmiers psychiatriques) entre en analyse ? Nous répondrons à cette question dans la dernière partie du texte. Sur la psychanalyse un dernier mot. Infirmiers diplômés dEtat, infirmiers psychiatriques, autre forme de ségrégation pour ces derniers. Titulaires dun diplôme national, les premiers peuvent exercer dans nimporte quel secteur de la médecine, psychiatrie comprise (sous réserve daccomo-dements internes) ; la réciproque nest pas vraie, signe de la dévalorisation de la maladie mentale jusquà ces dernières années chez les tenants de la politique sanitaire gouvernementale. Népotisme, blouse blanche, quête de la reconnaissance des psychiatres, prégnance de ladministration, le tout sous le regard de la folie, la situation des infirmiers psychiatriques est bien trop confuse pour pouvoir se radicaliser delle-même politiquement dans un conflit (du moins pour linstant). Lépée de Damoclès de la sectorisation est suspendue sur lhôpital et les échéances quelle pose ne peuvent plus être repoussées plus longtemps en Haute-Marne Si on limite ce conflit à sa seule dimension de conflit du travail, on ne peut avancer devant le silence des infirmiers grévistes que des conclusions partielles qui ne préjugent en rien dun quelconque sens qui surgirait ultérieurement de cette action collective. Restons-en donc au constat. Les infirmiers ont fait un acte en commun en boycottant Klapahouk. Des pressions diverses ont certainement été exercées sur le personnel, mais cela nest pas déterminant ; le boycottage comme forme de lutte participe bien de lintention de ne pas dépasser certaines limites. La monopolisation de la parole par Klapahouk sest traduite par le blocage dune parole collective dont les faibles échos restent à déchiffrer. Brièvement, passés du port du trousseau de clés au maniement de la seringue, les infirmiers restent des praticiens auxquels un savoir fondamental de leur pratique est refusé. Par la mise en scène du monologue de Klapahouk et par leur impossibilité de se placer sur le même terrain, les infirmiers découvrent leur propre séquestration : ils sont devenus aussi muets que les murs de lasile. Pour conclure, on peut voir dans ce conflit un conflit du travail avorté. Une minorité se range derrière le pouvoir médical, une majorité sabrite derrière ladministration. Incapable de saisir la cassure de linstitution et den exprimer sa dimension politique réelle, la C.G.T. ne fait par son communiqué (cité plus haut) quessayer de colmater la brèche. Une organisation rationnelle et démocratique des structures sanitaires de toute nature sera mise en place dans le respect des principes suivants : secret médical, liberté de prescription, libre choix du médecin par le malade. A la lumière de cette citation du programme commun PC-PS, on comprend que la municipalité Unité de la Gauche de Saint-Dizier se soit tenue elle aussi à lécart du conflit. Klapahouk excepté, on a tout fait pour étouffer cette aflaire. Silence des infinniers, silence de ladministration qui a refusé notamment de recevoir les journalistes. Lapolitisme apparent de ce conflit cache en fait le jeu des groupes de pression, des notabilités, des politiciens locaux.
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Dossier de presse Dans le Monde du 15-11-1973, Francis Cornu présente sous le titre Des infirmiers qui ne croient pas à la psychiatrie, une synthèse du conflit qui opposa le médecin-chef au personnel de son service. Nous ne reproduisons pas cet article et préférons restituer lintégralité des articles de presse locaux qui introduisent mieux, dans leur succession insistante, au vécu du conflit marqué par ses inquiétudes et ses non-dits.
Reprendre la lecture d'André Breton. |
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