Entretiens avec le personnel soignant. Jaqueline Collet. Florence Perchet. Denise Hanser. Alain Tamisier. Robert Camus. Blanche Janet. Antoine Bounader. Louisette Meier. Daniel Laage. Michel Mori. Sylvie Petit. Claude Lafarge.
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Michel Mori Lhôpital au début des années 70 Michel Mori: Je suis arrivé ici en septembre 72. Jai trouvé un hôpital qui avait déjà bien évolué. Et même très rapidement à la fin des années soixante avec une équipe de médecins qui était pétrie de la culture de la psychiatrie institutionnelle. Je pense au docteurs Nique, Teboul, Landry, Paris et quelques autres. Jai commencé à travailler sur le secteur de Chaumont puis dans les secteurs de Saint-Dizier. Cela ma permis de prendre la mesure des différents climats des différents secteurs qui ont chacun leur personnalité. Par la suite, léquipe avec laquelle je travaillais a essayé de se situer dans le prolongement de ce qui avait été initié par nos prédécesseurs qui eux-mêmes faisaient suite à des médecins qui avaient travaillé longtemps ici dans des périodes difficiles. Je pense à M. et Mme. le docteur Deffluant qui avaient été affectés à Saint-Dizier avant la guerre. Ils ont vécu la période de la guerre, un temps vraiment très difficile. Ils ont connu larrivée des premiers médicaments psychotropes. Ils datent de 1952. Cette étape pharmacollogique, contrairement à ce que lon imagine souvent, a permis lentrée de la psycho-thérapie et de la psychanalyse à lhôpital. La psycha-nalyse date de la fin du siècle dernier. Elle na eu le droit de cité à lhôpital quaprès larrivée des premiers médicaments. Il faut imaginer ce quétait un hôpital psychiatrique avant cette période pharmacologique. Cétait beaucoup dagitation. Il y avait aussi cette concentration de malades que jai connue dans les années 70. Létape pharmacologique a permis ensuite à lécoute de sinstaller. Jusque-là on nécoutait pas. On essayait de parer au plus pressé, de réduire les agitations, les délires, de sattaquer aux symptômes sans réellement avoir les moyens découter. Par la suite, cet hôpital a suivi lévolution que lon a constaté : la mise en oeuvre de la politique de secteur, la recherche dalternatives à lhospitalisation à temps complet. Cétait des hospitalisations partielles, de jour ou de nuit. Les interventions des équipes soignantes à lextérieur de lhôpital : la création dappartements thérapeutiques en ville, dappartements associatifs, les placements familiaux. Tout cela na pu se faire quen analysant les résistances, en essayant de les combattre, de les contourner. Il y a eu un gros travail à faire sur les a priori qui jusque-là maintenaient le malade mental à lhôpital, derrière ses murs. Tout cela na été possible que grâce aux efforts déployés par un bon nombre dinfirmiers dont la qualité principale était la générosité. Et puis, il y a cette idée que lon retrouve à la base du mouvement de désinstitutionnalisation quont mené les équipes italiennes à la fin des années 70 et au début des années 80, sous légide notamment de Franco Basaglia : la prise de conscience de la part des soignants que les malades étaient issus de la même classe sociale, ce qui renforçait une idée de communauté entre les soignants et les soignés. La psychiatrie institutionnelle Stéphane Gatti : Donnez- nous une définition de la psychiatrie institutionnelle. M.M : Nos prédécesseurs dans les années 50, des psychiatres tels que Bonnafé, Tosquelles, Oury et bien dautres avaient découvert quentre les médecins, les infirmiers, les malades, il ny avait pas toute cette distance que lon imaginait autrefois. Ce sont des gens qui se sont retrouvés dans la Résistance et qui ont eu vraiment à oeuvrer ensemble, malades et soignants confondus. Cest là quest née lidée quon pouvait organiser la vie à lhôpital à des fins thérapeutiques et sortir de létouffoir quil constituait jusque-là, ce lieu de relégation où chacun perdait lestime de soi. La psychiatrie institutionnelle a voulu organiser la vie à lhôpital comme une vie de village. Dans les hôpitaux psychiatriques aujourdhui, on retrouve lépicerie, la cafétéria, les ateliers qui organisaient la vie professionnelle (la circulation de largent prenait un aspect particulier), la création de clubs thérapeutiques. Saint-Alban a montré lexemple dans ce domaine. S.G : Quest-ce quun club thérapeutique ? M.M : Cest un lieu où patients et soignants se retrouvent pour discuter de lorganisation commune de la vie quotidienne. Les hommes cest comme les pommes quand on les entasse, ça pourrit. M.M : Cest une phrase de Desmaison qui était un des grands acteurs de louverture de lhôpital psychiatrique, qui a fait un très gros travail sur la formation des personnels soignants notamment à travers les C.M.E.A, qui était aussi un des grands participants à la psychiatrie institutionnelle qui disait cela : les hommes cest comme les pommes, quand on les entasse, ça pourrit. Et ça reste valable. Quel que soit le contexte dailleurs. Pas non seulement dans le contexte psychiatrique. Je pense que cette phrase pourrait inspirer nos urbanistes, nos architectes et puis nos décideurs. Les hommes ne sont pas fait pour être entassés car, quand on les entasse, on voit apparaître des types de comportements qui sexpriment plus en actes finalement quen paroles. Et puis, cela entraîne aussi une certaine désespérance et là encore une perte destime de soi en tant que sujet, en tant quindividu. Lécoute. M.M : Le soin psychiatrique nest pas concevable sans une démarche découte. Cest la démarche essentielle du psychiatre. Le problème du malade mental pendant très longtemps est que sa parole na pas été entendue. On ne la pas considérée comme étant la parole dun sujet parlant. La parole dun fou, dun aliéné, dun être complétement disqualifié qui par son comportement et sa manière dêtre sexcluait lui-même, pensait-on, de la communauté des hommes. On ne peut concevoir le soin sans cette démarche qui vise à restituer lauthenticité dune parole. Cest une parole singulière, très personnelle, qui sexprime à travers un néo-langage. La démarche du psychiatre visera à décrypter cette parole. Louverture de lhôpital. M.M : Nous sommes arrivés à la même conclusion que Basaglia et ses collaborateurs : linstitution nétait que peu réformable. Ce qui nous a conduit à chercher des solutions en dehors de lhôpital. Cest là quest née lidée des appartements thérapeutiques. Ensuite, il y a eu tout le problème de linsertion des malades dans la ville. Des problèmes dacceptation , de tolérance de lentourage. Notre choix était de le faire le plus discrètement possible. De façon à ne pas susciter des réactions de résistances intempestives. Des attitudes de méfiance et de résistance à légard de la psychiatrie nous avons eu à les connaître à certaines occasions. La simple implantation dune consultation en ville a suscité pétitions, protestations. Nous avions choisi de ne pas y répondre et de laisser les quartiers, les voisins faire leur expérience eux- mêmes. Finalement, tout le monde sest aperçu que davoir dans son voisinage un appartement où vivent des patients malades mentaux ne posait pas vraiment de problèmes particuliers. Démarche de la nouvelle psychiatrie. M.M : La démarche est de faire vivre un sujet qui a un discours particulier, une manière dêtre particulière qui vit dans un univers très personnel en confrontation avec une réalité sociale qui est ce quelle est. Réalité dans laquelle il demeure étranger tout de même. Faire avec le malade comme il est, pour lamener au plus près de la réalité sociale en fonction de ce quil est et de ce quil peut. Cest un mot dordre un peu vague et général. Il ny a pas dattitudes collectives à tenir. Pour chaque sujet, cest un programme particulier. Il ny a pas les schizophrènes. Il y a des sujets schizophrènes avec leur culture, leur milieu, leur histoire. Les hôpitaux psychiatriques aujourdhui M.M : Lévolution des soins psychiatriques ces dernières années est à limage de lévolution de la société : des résultats immédiats, une rationnalisation scientifique, une inflation des médicaments. Il faut y prendre garde aussi. La raréfaction des moyens financiers mis à la disposition des hôpitaux en général et des hôpitaux psychiatriques en particulier pourraient nous amener à tomber dans ce travers qui est limpasse de lécoute pour se contenter de gommer des symptômes sans se soucier du sens de la parole du patient, du sens de sa souffrance. Ces dernières années, dans un hôpital comme Saint-Dizier, se sont multipliés les recrutements dintervenants. Je pense aux psychologues qui ont pratiquement tous une formation psycho-thérapique aujourdhui. On constate un glissement : le médecin est engagé dans des missions de service public ou dans des prises en charge plus brèves, reposant de plus en plus sur la pharmacologie. Laffaire Klapahouk. M.M : Le docteur Klapahouk est arrivé en même temps que moi. Je crois que nous étions du même concours. Il a pris ses fonctions dans un service qui était dune organisation très structurée. Il y avait beaucoup de patients travailleurs. Il avait un service dhommes avec une proportion importante de personnel masculin. Le docteur Klapahouk a toujours eu ce souci de susciter lémergence de la parole chez des patients quil jugeait trop médicalisés. Il a décidé brutalement de supprimer une centaine de traitements instaurés parfois depuis fort longtemps chez des patients de longue date. Cela na pas manqué de susciter la résurgence chez certains dactivités délirantes, de toubles à type dagitation, à type dinstabilité. Le service a eu un aspect ingérable pour le personnel ce qui a engendré une mutinerie dune partie de celui-ci. Lexpérience a été relatée dans la grande presse. Elle a fait lobjet de plusieurs articles dans le Monde, dans Les Temps Modernes et dun séminaire à la faculté de Vincennes. |
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