Entretiens avec le personnel soignant.

Jaqueline Collet. Florence Perchet. Denise Hanser. Alain Tamisier. Robert Camus. Blanche Janet. Antoine Bounader. Louisette Meier. Daniel Laage. Michel Mori. Sylvie Petit. Claude Lafarge.



























































































































































































Reprendre la lecture d'André Breton à Saint-Dizier.

Retour à l'Hôpital André Breton.

Retour en ville.

Robert Camus

Une évolution de l’écoute

Stéphane Gatti: On parlait, tout à l’heure, de l’aspect historique qu’il peut y avoir de l’écoute. C’est-à-dire, qu’est-ce qu’on entendait, qu’est-ce qu’on écoutait, ici, il y a dix ans et comment cela a évolué ? Qu’est-ce qu’on écoute aujourd’hui quand on est à André Breton ? Est-ce que vous avez l’impression qu’il y a eu une évolution ? Quand avez-vous commencé à travailler ici ?

Robert Camus : En 1980 et c’est vrai que…

S.G : C’est juste au moment où la gauche va prendre le pouvoir.

R.C : Oui, en quelque sorte. Enfin, c’est comme cela que cela s’est passé…

S.G. : Et cela modifie-t-il quelque chose ici ? Cela fait-il bouger quelque chose ?

R.C : Non, je ne pense pas qu’il y ait eu une relation. Je pense que les choses ont changé au niveau du faire, dans l’activité. Une prise de conscience qu’il y avait l’autre, le malade. C’est, à ce moment-là qu’il y a eu tout un travail, justement, sur l’autre. Qui était l’autre ? Pourquoi était-il là ? Qu’est-ce qu’il faisait ? Puisque moi aussi j’étais là mais, pour d’autres raisons. A mon avis, je pense qu’il y a eu un changement dans la mesure ou, par rapport à mes débuts, ce n’était pas l’autre, le malade, qui était pris en considération première. J’ai l’impression qu’il y avait d’autres critères, mais pris dans un ensemble. Et puis, petit à petit, avec les années, cette prise de conscience de l’autre et que l’autre avait une demande, à partir du moment où il parlait, il était normal de le prendre en compte. Il y a eu tout ce travail de reconnaissance de la citoyenneté de l’autre aussi puisque nous sommes des individus, enfin des citoyens libres.

S.G : Et pensez-vous que la personne qui vient vous voir à conscience de son statut de citoyen ?

R.C : Disons que c’est moi qui définis cette histoire de citoyenneté. Honnêtement, je ne leur ai jamais posé la question.

Son ancien métier.

R.C : J’étais serrurier à l’origine. Je travaillais dans le bâtiment. Les circonstances ont fait que je me suis retrouvé à travailler dans cet hôpital comme moniteur d’atelier pour animer une activité du travail du fer. Cette activité existait déjà et la personne qui s’en occupait était partie à la retraite. Il y avait une reprise pour une continuité de ce qui se faisait.

Une évolution des activités dans l’atelier.

S.G : Qu’est-ce qu’ils essaient de fabriquer dans l’atelier ?

R.C : Disons que dans mes débuts, c’est moi qui proposais une fabrication d’un objet. Un objet utilitaire. A l’époque, on faisait énormément de barrières, de protections de fenêtres. Cela m’a toujours amusé. Les gens demandaient énormément de protections de fenêtres et l’argument c’était pour l’assurance. Cela m’a toujours fait rire. Les assurances ne payaient pas encore l’effraction. Mais, je me disais : bon sang ! On travaille dans un hôpital. L’objectif est d’ouvrir ses portes et les gens quand ils rentrent chez eux, ils n’ont qu’un souci celui de se remettre en prison, de se mettre des barreaux et de s’enfermer. Pendant des années, on a fait des barrières. L’échange avec le patient était limité, limité justement à ce travail précis. On arrivait un peu à des rapports qu’on aurait pu avoir dans une entreprise, des rapports de production. Et puis après, il y a eu aussi des rencontres avec des personnes qui travaillaient différemment. Il y a eu des échanges. Il y a eu prise de conscience aussi que ces lieux là, on pouvait les transformer en lieux beaucoup plus intéressants que de faire une production purement stéréotypée… Toujours les mêmes modèles… Qu’est- ce qu’on pouvait faire avec les gens au niveau création ? Et puis pour qu’il se sentent bien, qu’ils investissent le lieu, qu’ils investissent les outils?

S.G : La production a changé maintenant.

R.C : Oui, maintenant, je propose plus des choses que la personne peut réaliser par elle-même. A partir de petites fabrications simples, de sujets. L’année dernière, on a pris comme thème le cheval puisque des gens font de l’équitation. J’ai trouvé que le cheval, c’était un peu prolonger cette activité. On a fabriqué ensemble : chacun a fait sa pièce. Fabriquer un cheval en métal avec du fer plat. Il y a eu des moments faciles. Il y a eu des moments difficiles aussi. Le métal est résistant. Il y avait des résistances. C’était des moments riches où les gens persévéraient. Ils persévéraient pour mener à fond le projet qui avait été défini. Quand on fabriquait des barrières, c’était limité. C’était couper le fer, enlever les bavures. Après le reste, les soudures, c’était des choses inaccessibles pour certains, même pour la grande majorité. Alors que là, on n’a pas abordé la soudure, mais cela a permis de faire un retour dans le temps en expliquant que, avant, les gens ne soudaient pas mais qu’ils utilisaient les rivets, les vis, des choses comme ça. Cela a permis d’aborder cette période. On a voyagé un peu dans le temps. Cela a permis d’expliquer ce qui se passait. Comment ont été construits les ponts, par exemple ? Et puis, petit à petit, on a fait d’autres objets. Il y a eu un petit soldat romain aussi, à partir de métaux de récupération, de tubes, de choses comme cela assemblées avec des vis de façon à donner l’allure d’un personnage. J’ai fabriqué un modèle devant eux et puis, petit à petit, je leur ai demandé qu’ils pesonnalisent cet objet. Il y en a qui ont choisi de faire des chaussures pointues, d’autres de faire des chaussures arrondies, par exemple. Certains ont choisi de fabriquer une lance, d’autres ont choisi de fabriquer une épée. C’était bien.

Une libération des gestes et de la parole

SG : Que lit-on dans les gestes des autres ? Dans leur façon de travailler ? De découper ?

R.C : On y lit l’ouverture vers l’autre. C’est ce que j’en ai retenu. Au départ, pour couper le verre, les gens étaient soudés, les membres près du corps. Ils travaillaient vers eux, à l’intérieur. En discutant, en montrant qu’il existe une autre méthode de travail beaucoup plus facile c’est-à-dire la coupe du verre en allant vers l’extérieur, il m’a semblé que les gestes devenaient plus amples. Ils étaient plus libres dans leurs mouvements, dans la parole aussi. Il se passe beaucoup de choses autour de ce travail de découpe, de ce travail de mise en plan. Il y a eu aussi la discussion pour le choix du sujet. Il y a eu plusieurs propositions. Ils ont retenu un pharaon. Pourquoi le pharaon ? Je ne sais pas. Chacun a fait un dessin. Chacun a fait son pharaon personnalisé. Après, il y a eu ce travail collectif. Chacun a fait sa pièce qu’il avait choisi et il y a eu toute la préparation du sertissage. Actuellement, on est dans une autre phase qui est la technique du vitrail proprement dite pendant laquelle on met le verre en plomb. Entre ces deux phases, il s’est passé deux années. Deux années avec beaucoup de changements, beaucoup d’aventures pour tous.

Des gestes beaux.

R.C : Il y a eu la démarche de reconnaître l’individu, la personne qui venait en activité. C’était lui redonner une identité, lui montrer qu’elle était quelqu’un, qu’elle vivait... Accueillir des gens, leur faire exécuter une activité guidée, bien précise. Mais, apparemment, le sentiment d’être quelqu’un n’était pas vraiment évident. Alors que là, c’est un moyen de réalisation. Il y a eu tous ces échanges à travers cette matière, à travers ces outils utilisés, à travers ces gestes aussi qui se sont embellis. Pour moi, maintenant, ils ont des gestes beaux, justes. Alors qu’avant, ils étaient maladroits, ils étaient soudés, ils n’étaient pas extériorisés. C’est vraiment différent, maintenant on les sent plus libres. On les sent plus sûrs d’eux, plus confiants puisqu’ils savent qu’ils sont capables de réaliser des choses. Ils ont réalisé des choses puisqu’ils les ont sous les yeux tous les jours. Les réalisations qu’ils ont faites, ils les ont emporté chez eux. Ils en sont fiers. Dans les moments où ça ne va pas, où ils ne sont pas bien, cela permet de rebondir en disant : mais si, à telle époque on a fait ça. Il y a ça qui a été réalisé par vous.

Dans la rivière.

R.C : C’est une règle que j’ai toujours adoptée : je ne parle jamais à sa famille de ce qui se passe dans son travail… Ou alors, dans les grandes idées, de ce que je projette de faire. Autrement, raconter en détail ce qui se passe : non. Mon lieu de travail, c’est un moment de ma vie. Je suis là pour faire des choses précises. Une fois que je suis sorti, je vis autre chose. Ce qui ne m’empêche pas d’y repenser. Je ne suis pas sans penser à certaines situations qui sont un peu plus pénibles que d’autres à gérer. Mon entourage n’est pas au courant. Je ne lui dit pas. C’est mon jardin secret. Je vais l’évacuer dans la rivière.

S.G : A la pêche ?

R.C : A la pêche. C’est peut-être le lieu le plus privilégié qui en sait beaucoup plus que mes proches sur mes activités professionnelles.

Les patients de l’atelier ferronnerie.

S.G : Est-ce que certains sont arrivés avec des désirs particuliers de réalisations ?

R.C : Dans le groupe que j’ai, non. Il y a cinq ou six ans, j’avais d’autres personnes, d’autres pathologies. Je proposais, je leur demandais s’ils avaient envie de réaliser quelque chose de personnel. Je n’ai jamais vu quelqu’un me dire : “ moi, j’ai envie de faire cela pour moi ”. La grande difficulté est justement de trouver l’objet qui va cibler leur attention, qui va essayer de les aider, puis de les accompagner dans leur vie. Ce n’est pas toujours évident. La difficulté est qu’ils n’ont pas ce désir de faire quelque chose. Il faut toujours relancer la machine, les inciter. Une fois qu’ils sont en route, c’est vrai qu’il y a cette volonté de faire plaisir, de me faire plaisir. En même temps, je renvoie aussi l’image en leur disant : “ vous me faites plaisir à moi. Mais vous vous faites plaisir aussi puisque vous avez réalisé quelque chose. C’est vous qui l’avez fait. Ce n’est pas le copain. Ce n’est pas moi. ” Là, cela prend une autre dimension.







Les balcons du père d'Annick.
Robert Camus, ancien ouvrier de la métallurgie. Pendant vingt ans, ergothérapeute à l'hôpital André Breton de Saint-Dizier. Il a vu la fin de l'époque où l'atelier fer servait à construire des portails pour tous ceux qui en avaient le désir.





















































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