...(...)... Pères trop loin que l'enfant ne sait comment atteindre.

Je voyais presque pas mon père.

Mais pères inconnus, aussi. Que l'on retrouve parfois sur le tard.

Mon papa il était en prison quand je l'ai retrouvé.

Ou père dont on ne saura jamais que ce que la mère, la grand-mère, voudront bien dire.

Le jour où j'ai appris la mort de mon père cela m'a fait un choc inexplicable.


Cette fragilité, finalement, qui se révèle pour tous à prononcer le nom du père. A l'écrire. Et plus d'une fois on voit bien que les mots ajoutés à la suite ne sont que manière d'éviter encore, de passer autour, la phrase s'arrête juste avant de dévoiler ce que la vie même de l'enfant s'efforce de taire, d'oublier, qu'on n'en parle plus c'est ça qu'on veut, alors pourquoi ce mot qu'on soumet à écriture ?


Parce qu'il y a la souffrance.

Mon père est un homme qui a souffert dans la vie car il a eu un accident de travail.

Il y a la misère.

On vivait comme des misérables du pays.

Il y a la maladie.

Impossible de le reconnaître. Je demandais à l'infirmière si cet homme était bien mon père.

Et la mort.

Je sentis son dernier souffle sur mon visage. Et ce fut la fin.

Pourquoi insister ?

La pensée de mon père me fait mal au coeur.


Plus d'une fois la question revenue.

De quel droit imposer pareil réveil des blessures, des attentes étouffées - de quel droit les mots plutôt que le silence ? Lumière, cette violence qui revient d'un coup sur tout ce que l'on espérait bien rangé à l'abri ? Tant d'efforts sur soi, de larmes ravalées, de colères assagies - pour en arriver là, devant le vide d'une feuille blanche, et simplement ce mot comme une pierre autour du cou du noyé - Père ! Faut-il recommencer la route ? Réveiller les fantômes ? Crier, est-ce répondre ? Et menacer de tout casser ? - Mon père.... Et ça se tait dans un hoquet de pleurs. Ce n'est qu'après que la voix vient se poser sur la page - non pas sereine, oh non ! Mais délestée, on dirait, de cette force souterraine qui la faisait se répandre en elle-même, empoisonner corps et bouche qu'elle hante et qu'elle hantera encore puisque écrire n'est pas soigner mais seulement reconnaissance, partage de questions plus que de réponses - tous nos points d'interrogation et le nom du père au milieu.


Alors on ne peut témoigner que de soi-même. Et répéter. Et répéter. Que les mots : comme des boussoles, manière de se repérer au monde. Où on est. D'où on vient. Que père ce n'est que ça et soi-même on passe par là. Que le souhait, c'est que soit approché comment tous ces pères ont enfanté ce que nous sommes, où nous sommes, cette ville née de tous leurs efforts, même s'ils n'en ont jamais eu conscience, croyant au mieux chacun s'occuper des "siens", alors que sans eux il n'y aurait rien de tout ça, même si personne jamais ne leur a rendu cet hommage.


"A nos pères", c'est cet hommage. Et la reconnaissance du chemin qui nous a conduit là - le chemin de derrière. C'est le connaître qui rend libre, bien plus que de se dire qu'on peut choisir celui qui va devant...(...)...

Le père de CheikhRetour en ville.Le père de Cédric.


Revenir à l'exposition.

L'invention du père par les mots ( suite ).

Le père de Suheyla.

Retour en ville.