...(...)... Il ne dit pas. On imagine. Mais des fois on se dit qu'il n'aimerait mieux pas. Qu'il péfèrerait qu’on s'en tienne aux histoires communes. Aux : "Si vous aviez vu ça...". "Si vous aviez été là..." Mais justement on n'y était pas. On n'a pas vu. Restent les mots. Ou des photos parfois. Est-ce que ça se partage, la vue ? Et même : est-ce que l'on voit pareil quand on regarde ensemble ? C'est peut-être comme ces arbres si vieux dont on se dit : s'ils pouvaient parler ! s'ils pouvaient dire ce qu'ils ont vu ! Les pères comme les arbres parlent très peu. Trop peu. A peine si on peut lire un tatouage sur l'écorce. Trace indélébile. Mais indéchiffrable. Hiéroglyphe - comment le dire quand c'est à même la peau ?

Même ceux qui un temps partagent le travail du père ne semblent pas en apprendre beaucoup plus. Des gestes, oui. Des lieux. Des heures. Des visages. Il en faudrait tellement plus pour percer le secret.

Certains croient pouvoir découvrir quelque chose en cueillant le père, on dirait, sur la route du retour, quand il revient du travail..

Quelques centaines de mètres sur le cadre du vélo.

Quelques minutes dans le "petit gris", camionnette Peugeot 37.

Ou bien sur le tracteur.

Peu de mots échangés.

Ce contact pourtant.

Comme si du silence qui entoure le père à ce moment-là on pouvait apprendre quelque chose.


Et si, ce silence, c'était de trop avoir subi ? De trop subir encore et de ne pas vouloir témoigner de ce que l'on a enduré ?

Mon père a vu le monde sous un aspect cruel comme la pauvreté du salaire.



Ils disent encore moins les pères qui sont partis pour plus loin, plus longtemps. Silence, on dirait, proportionnel à la distance, et que rien ne viendra jamais combler.

Route d'exil.

J'aimerais bien voir mon père.

Ni moto, ni voiture : c'est le bateau, l'avion. Et le retour de loin en loin d'un inconnu qui un beau jour dit : Je suis venu vous chercher.

Mais l'exil partagé ne réduit pas le silence devenu aussi profond que les crevasses de travail dans les mains. Le coeur se cale aussi. Et les mots. On dit "respect" cette parole muette. Mais chacun emmuré.


Cela n'a pas du être facile pour lui, dit le fils.

Tout ce qu'il peut dire.

Tout ce qu'il essaie de dire pour excuser cette rudesse.

C'est pour nous qu'il a fait tout ça.

Je pense que toutes les choses que mon père m'a apprises m'ont permis de savoir faire quelque chose.

Comme à vouloir s'en persuader.

Ou plutôt : enracinant au plus profond de ça un témoignage d'amour auquel les pères bien souvent se refusent.

Mon père ne m'a jamais dit s'il était fier de moi.

Mon père ne m'a jamais dit qu'il m'aimait ...(...)...

Retour en ville.Le territoire d'Emmanuel Chauvelot.Le père de Fatima.


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L'invention du père par les mots ( suite ).

Le père de Suheyla.

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