SUJET, VERBE, COMPLEMENT.
Daniel Laage, surveillant-chef. Il a accompagné Michel Mori dans la transformation de l'hôpital. |
En 1978, Jean-Bertrand Pontalis publie dans La Nouvelle Revue Française un article sur les rapports de Freud et Breton : les vases non communicants.
Entre Freud et Breton, cest peu dire que le principe des vases communicants a mal fonctionné. Breton/Freud : les vases non communicants. Où faire passer la barre de séparation ? On se souvient de linterview du Professeur Freud (1922) rapportée par Breton avec une insolence drôle qui ne cache pas lamertume (nous dirions : ambivalence) dans Les pas perdus : Une modeste plaque à lentrée, Pr. Freud, 2-4, une servante qui nest pas spécialement jolie, un salon dattente aux murs décorés de quatre gravures faiblement allégoriques et dune photographie représentant le maître au milieu de ses collaborateurs, une dizaine de consultants de la sorte la plus vulgaire... Je me trouve en présence dun petit vieillard sans allure qui reçoit dans son pauvre cabinet de médecin de quartier. Ah ! il naime pas beaucoup la France, restée seule indifférente à ses travaux... Je ne tire de lui que des généralités comme : Heureusement nous comptons beaucoup sur la jeunesse. Mais, malgré laccueil décevant, Breton, pourtant ordinairement prompt à abhorrer ce quil avait adoré, ne cessera jamais de proclamer sa dette envers Freud. Dans un questionnaire Ouvrez-vous ? (la porte à tel visiteur illustre), paru dans les années 50, à la question : Ouvrez-vous à Freud ?, Breton répond : Oui, avec une profonde déférence. Le mot désigne bien la relation : avec déférence, faute de plus. Car Freud, de son côté, était on ne peut plus réticent à lendroit des surréalistes. Il disait (dans une lettre à Stefan Sweig du 26 juillet 1937) les tenir, eux qui lavaient choisi comme saint patron, pour des fous intégraux, ajoutant : disons à 95 %, comme lalcool absolu. Nulle trace chez lui dune quelconque reconnaissance pour le rôle essentiel quavaient joué les surréalistes dans lintroduction de la psychanalyse en France - où elle se heurtait à une solide résistance philosophique, psychiatrique, universitaire, médicale, franchement germanophobe et sournoisement antisémite. Pourtant, Freud nétait pas toujours très regardant au chapitre de ses ambassadeurs. Le malentendu tient-il à des motifs contingents ? Lextrême distance de Freud vis-à-vis de toutes les tentatives de lart moderne, sa réserve naturelle, son style de vie bourgeois et, en face, le défi, la provocation surréalistes et, plus particulièrement chez Breton, une volonté irritante de sannexer, comme le collectionneur quil était, toutes les oeuvres dart ou de pensée avec lesquelles il entrait en résonance. Au premier regard, on est tenté de penser que lincompréhension nétait pas inévitable. Car, au moins du côté de Breton, les choses paraissent bien engagées. Mais il faut y voir de plus près. Dabord, Breton a connu une expérience psychiatrique qui a été, je crois, décisive dans sa formation et dont on a sous-estimé limportance. A vingt ans, jeune et négligent étudiant en médecine, déjà épris de poésie, il est affecté durant lété 1916 au centre neuropsychiatrique de Saint-Dizier. Il y prend connaissance - une connaissance nécessairement de seconde main puisque aucun livre de Freud nétait alors traduit - de la méthode psychanalytique : libre association, analyse des rêves. Le choc, lenthousiasme sont immédiats. En témoigne, entre bien dautres signes, ce distique psychiatro-lyrique adressé à un ami : Démence précoce, paranoïa, états crépusculaires / Ô poésie allemande, Freud et Kraepelin. Mais, très vite aussi, la fièvre qui le saisit devant la découverte dun nouveau monde où sassocieraient poésie et folie, qui éloignerait à linfini les limites de ce quon nomme réalité, cette fièvre est tempérée par un autre constat également irréfutable. La détresse, parfois la déchéance physique des malades mentaux le frappent à jamais : lamère obstination des fronts, les paupières cernées, le regard chargé de cette supplication dun secours impossible, inconnu. Quarante ans plus tard, avec une honnêteté quil faut saluer aujourdhui où léloge de la folie passe allégrement outre la souffrance indicible du fou, Breton reconnaîtra toujours active en lui cette attitude mixte dattraction et de répulsion : dune part, vive curiosité et grand respect pour ce quil est convenu dappeler les égarements de lesprit humain, dautre part, souci de se prémunir contre ces égarements eu égard aux conditions de vie intolérables quils entraînent. Sans doute pensait-il à Antonin Artaud. Là, dans cet aveu lucide, est la force - et la limite - de laventure surréaliste, dans ce quelle a de plus connu et de plus tangible : une activité intensive de prospection destinée à capter ce qui, par nature, échappe à la conscience. Linquiétante étrangeté se mue en art de la surprise ; le dérèglement systématique de tous les sens - opération à haut risque, parfois sans retour - en programme de travail. On doit rendre hommage à cet effort pour déverrouiller lhomme mais on doit aussi se demander, maintenant quil y a dans la modification de la sensibilité ainsi obtenue un fait acquis, si les techniques surréalistes peuvent produire autre chose quune mimésis concertée dun inconscient déjà figurable et déjà mis en mots. Création ou manipulation ? Les mots sont libérés - ils font lamour - voire laissés à la dérive, mais les filets qui prendront les mots restent bien tenus en main. Pour évoquer linconnu, Breton use dun style incantatoire volontiers oratoire, il ne dédaigne pas les prestiges dune belle langue dans la tradition des grands prosateurs. La souveraineté parfois hautaine de son langage ne sera jamais mise en défaut. Très tôt, on a dénoncé chez les surréalistes un goût excessif du simulacre. Un groupe de poètes dabord proche deux sen détachera en intitulant leur mouvement, afin de bien marquer ses distances, Le Grand Jeu, face à ce quil appellera les petits jeux de société des surréalistes. Mais la notion de simulacre est co-substantielle au surréalisme. Lart, lartifice, le trucage viennent répondre à une expérience du simulacre bel et bien authentique, expérience qui, elle, nest pas simulée. Dans le parcours de chaque écrivain novateur, on trouve une expérience subjective qui déclenche sa mutation. Si, dans le cas de Breton, cétait celle du simulacre ? Breton, qui a cent fois retracé son itinéraire, était avare de confidences personnelles. Sur ses rencontres avec les poètes, les artistes, les livres, avec les lieux et les objets, comme sur lhistoire du mouvement avec lequel il veut confondre son propre destin, nous sommes bien informés. Mais il y a une rencontre plus intime et capitale, qui est moins celle dun homme que dune disposition proprement révolutionnaire de lesprit - révolutionnaire en ce sens quelle renverse, accomplit la révolution de lattitude normale. Breton sy réfère à deux reprises dans son uvre. Dans Point du jour (1929) : Jai connu pendant la guerre un fou qui ne croyait pas à la guerre. Daprès lui, les prétendues hostilités nétaient, à une échelle très vaste, que limage dun tourment à lui seul infligé, encore quil ne sût dire à quelles fins (mais, ajoute Breton, nous étions beaucoup dans le même cas). Dans les Entretiens quil accordera en 1952 à la Radiodiffusion française, il se montrera plus explicite : Jai rencontré entre ces murs (Saint-Dizier) un personnage dont le souvenir ne sest jamais effacé. Il sagit dun homme jeune, cultivé, qui en première ligne sétait signalé à linquiétude de ses supérieurs hiérarchiques par une témérité portée à son comble : debout sur un parapet en plein bombardement, il dirigeait du doigt les obus qui passaient. Sa justification devant les médecins était des plus simples : contre toute vraisemblance, il navait jamais été blessé. La prétendue guerre nétait quun simulacre, les semblants dobus ne pouvaient faire aucun mal, les apparentes blessures ne relevaient que du maquillage et du reste lasepsie sopposait à ce que, pour en avoir le cur net, on défit les pansements. Comme la plupart des hommes de sa génération, Breton reconnut dans la Grande Guerre essentiellement une duperie : ce carnage injustifiable, cette duperie monstrueuse, ce sont ses mots. Ce qui a dû le troubler dans le cas évoqué, cest, conjointement au délire dinterprétation, la négation systématique de la réalité : incarnation exemplaire dun idéalisme assez souverain pour mettre en accusation le statut de la réalité. Tout le fameux Discours sur le peu de réalité qui inaugure la position doctrinale du surréalisme est en germe dans ce tour de passe-passe qui dénonce le réel comme semblant. Comme Peter Ibbetson rêve vrai, on pourrait dire de cet homme quaux yeux de Breton il délire vrai. Dans le même texte de Point du jour, il rend hommage à ces créatures de doute assez éperdues, capables déprouver à chaque instant notre faculté de résistance à légard de ce qui passe pour être, pour rendre plus ou moins impossible ce qui nest pas. Que cette brève rencontre avec le malin génie de Saint-Dizier ait eu valeur dillumination, jen vois une preuve dans un des tout premiers textes de Breton qui fait manifestement écho à lépisode. On y retrouve en effet les mêmes termes - et même plus accentués - de simulacre, de mise en scène, dimposture, de représentation. Mais cette fois, cest un je qui parle, un je anonyme, comme si Breton prenait à sa charge, à la charge de tout Je, le détournement de sens (signification et direction) opéré par le malade, comme sil y reconnaissait, dans une certitude anticipée, ce qui nallait cesser dorienter sa ligne de vie: laffirmation, à poser en toutes circonstances, des prérogatives de lesprit, du possible, face à lappareil de mort quest en son fond la réalité - meurtre de limaginaire. Seul un excès dimaginaire peut faire contrepoids à labus de pouvoir de la réalité. Ce court texte sappelle, significativement, Sujet . Dressé sur son parapet, le jeune homme détourne les obus. Son omnipotence nest pas, notons-le, celle dun Dieu créateur : il est sujet absolu, mais détourneur, retourneur, il irréalise le monde, niant ce qui le nie. Il est à lui seul manifeste du surréalisme en ceci quil manifeste le surréel en dénonçant lemprise du réel. En ce temps fécond, Breton rencontre donc la triple expérience de la folie, de la guerre et de lidéalisme à létat pur, sauvage. Limportant est que cette expérience soit conjointe : elle détermine une position militante et collective. Il sagit de faire front au réel par le détournement de sa fonction : réponse nécessairement marquée de défi. Lopération consiste à muer la réalité en un semblant qui annule les pouvoirs quelle sarroge au nom de lévidence fonctionnelle : il y a là comme un devoir dinsoumission à légard dun principe de réalité qui prétendrait faire loi. La polémique, la contre-attaque, la provocation ne sont pas des accidents du surréalisme, ils lui sont essentiels. Mais lopération de détournement naboutit pas à constituer, face à la réalité, une autre réalité - celle de la fiction, de lart, de la poésie : en un sens, il ny a pas duvre surréaliste possible. Le procédé du collage qui articule autrement des fragments de réalité - ustensiles, objets, images et mots - restera sans doute le modèle de la manipulation, de la combinaison, de la production surréaliste. Jean-Bertrand Pontalis. Poursuivre la lecture d'André Breton. |
Délivrance Faculté de se donner Renseignements gratuits Amendez-vous sur terre Heureux de vous faire plaisir Voici les jolies pioches du retour en arrière offensif Lor mérité Champignon poussé dans la nuit de demain il ne sera plus frais Saisons animatrices de nos désirs Ouverture des portes devant lecuyère.
Extrait des champs magnétiques d'andré Breton et Philippe Souppault.
Bruno Dès fois je rêve que je suis en campagne, dans une ferme, je me vois faire du foin, tout ce quon fait dans une ferme, au tracteur, au moissonnage, je me vois parler avec cette dame, la patronne de la ferme, et ses fils, mais je me vois pas traire, je me vois comme simple manuvre. Je voudrais bien faire de lébénisterie, ça me plairait, ça a toujours été mon rêve, même quand jétais piot, bientôt je vais faire un stage, on verra bien. . C.A.T de l'I.M.E.
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