Le père de David

Le jour où j'ai appris la mort de mon père, cela m'a fait un choc inexplicable. La police avait appelé ma mère, je suis allé avec elle le voir, il était là, allongé sur le sol, à moitié rongé par les rats, car la police expliqua qu'il était mort depuis quatre jours. Depuis ce jour j'ai cette image qui me hante l'esprit.

En fermant les yeux, le soir, dans mon lit, des fois j'imagine mon père en train de me montrer les labeurs de la vie, et oui, j'aurais aimé que mon créateur m'apprenne tout ce qu'il sait, j'aurais voulu pouvoir jouer avec lui, j'aurais voulu qu'il soit là quand j'en avais vraiment besoin, car je ne sais pas vraiment ce que c'est d'avoir un père.

Je l'imagine partant de la maison habillé de blanc pour aller à l'armée et j'aurais été fier de lui, car lorsque des personnes me posent des questions sur lui, je ne sais pas quoi répondre, alors qu'eux ils me parlent de leur père de telle manière qu'ils les portent aux cieux, et là j'aurais vraiment aimé qu'il soit là.

Je sais que mon père était sous-lieutenant à l'armée de l'air.

Je sais qu'ensuite il a travaillé comme convoyeur de fond.

Je sais qu'il adorait jouer de la musique, c'était son hobby, il a joué dans plusieurs endroits réputés de Nancy.

Je sais qu'il pouvait être très méchant quand il avait bu.

Un jour mon père a poursuivi ma mère avec un fusil de chasse, car il voulait la tuer, mais les gendarmes sont arrivés et ils l'ont arrêté. Il est resté en prison pendant un mois. Ensuite il est revenu avec ma mère.

Une autre fois, car ma mère avait fait une bêtise, ma tante était là et on s'était tous enfermés à l'intérieur de l'appartement, car mon père attendait derrière la porte avec son fusil, en tout cas cette fois-là ma mère et ma tante ont eu un régime forcé, elles avaient perdu au moins 10 kg chacune d'après ce que l'on m'a dit.

Je sais que mon père voulait devenir prêtre pour me baptiser, car il voulait le faire lui-même.

Un jour mon père m'a emmené en ballade et ma mère nous a retrouvés dans un bistrot, mon père essayait de me faire boire de la bière qu'il avait mis dans mon biberon, ce jour-là c'est lui qui s'est pris un savon.

Mon père est rentré à l'armée car mon grand père l'y avait forcé, mon père le craignait vraiment, alors il est rentré à l'armée de l'air, mais à contrecoeur, car mon grand-père voulait que son fils fasse comme lui et pas autrement, et je pense que c'est peut-être à cause de cela que mon père est mort, mais je ne le saurai jamais.

Mais je sais que ce qui l'a détruit le plus c'est son divorce de son premier mariage d'où il a eu une fille, et après c'est ma mère qui l'a remis d'aplomb, qui lui a redonné goût à la vie, ensuite ils se sont mariés, cela a duré deux ans environ, puis ma mère a divorcé car mon père était d'après elle devenu quelqu'un de très dangereux. C'est ce deuxième divorce qui l'a foutu plus bas que terre. Il s'est mis vraiment à boire, il buvait tellement que ma grand-mère l'a fait rentrer dans un hôpital spécialisé, et un jour il s'est évadé de ce centre, et d'après les policiers qui l'ont retrouvé mort, ce serait à cause de l'alcool mélangé avec des médicaments qui l'auraient tué, et voilà tout ce que je sais et ce que j'imagine sur mon père.

J'imagine mon père habillé de blanc car quand il est mort, j'ai hérité de ses instruments de musique et de son uniforme militaire qui est tout blanc, que j'ai immédiatement mis dans une boite en velours rouge avec son couvercle en verre. Les instruments de musique que j'ai eu était un orgue à deux claviers qui a été importé d'Italie, et une guitare électrique des années 60-70, avec un grand ampli Yamaha qui a deux très grosses enceintes incorporées. J'en prends extrêmement soin, car c'est pratiquement les seuls souvenirs matériels que j'ai de mon père. Par contre, ce que j'aurais voulu que mon père m'apprenne par dessus tout, c'est à jouer de la musique comme lui, car il jouait vraiment très bien, car quand j'écoutais, petit, je restais là ébahi devant lui, en train de l'entendre jouer si merveilleusement. Mon père jouait de la musique dans des endroits très réputés de Nancy. Car c'était d'après ce que l'on m'a dit un très bon musicien qui savait s'organiser et gérer une soirée dansante ou de gala et en plus il avait la joie de vivre et animait avec aisance tout ce qu'il faisait.

Après avoir écrit ce texte, le soir-même, j'ai ouvert le placard de ma chambre, j'ai sorti son uniforme, je l'ai déposé sur mon lit et je l'ai longuement observé. J'ai remarqué ce jour-là trois rangées de décorations sur le côté gauche du veston, jusqu'à maintenant je n'y avais pas vraiment prêté attention. Et puis, demeurant là devant l'habit de mon père, je restai perplexe à l'idée de ne pas savoir à quoi cela correspond. Et juste en dessous, il y a deux médailles, une qui ressemble à une croix, et l'autre est ronde avec de chaque côté comme une branche de laurier. Je ne sais pas en quel honneur il les a eues, mais de toutes façons je ne me fais pas d'idée, je sais très bien que je ne le saurai jamais. Sur le dessus des épaules, il a ses galons qui sont de couleur or avec une barrette de chaque côté avec en son milieu un liseré marron. Pour vous dire, je ne sais vraiment pas en quelle occasion il a pu porter ce costume. Là, ce qui compte, c'est que grâce à ce costume et à ce qu'il m'a légué après sa mort, je puisse me souvenir de lui, comme quelqu'un de bien, qui a vraiment fait quelque chose de sa vie, et de toutes façons c'est peut-être à cause de lui que je ne bois pratiquement pas d'alcool, car j'ai dans l'idée de ne pas ressembler sur ce point à mon père, car je veux que mon fils me connaisse comme quelqu'un marchant droit, et qui a tout fait pour que sa vie soit un succès.

Mon père a déjà vu dans sa vie un bon nombre d'avions de chasse quand il était à l'armée de l'air. Mon père a vu de nombreux artistes lors de ses ébats musicaux dans les endroits réputés de Nancy. Il a vu aussi beaucoup de prisonniers, des barreaux de prison, lors de ses séjours en prison. Il a vu aussi les femmes, le soleil, les plages un peu partout en France, mais pendant cette période-là mon père a beaucoup eu de rapports sexuels avec ces demoiselles en quête d'amour. Mon père a aussi déjà vu la mort en face lors d'un accident de voiture. Mon père a aussi vu beaucoup de centres de désintoxication car il buvait énormément. Mon père voyait que la vie n'était pas toujours rose, qu'il fallait avoir un but dans sa vie, car sinon elle ne valait pas le coût d'être vécue. Mon père a aussi vu sa mère mourir, et là il a vu la vie d'une autre manière. Mais mon père a surtout vu un beau soir la mort à cause d'un mélange de médicaments et d'alcool. Et j'espère que maintenant il voit le paradis avec ses anges, car dans sa vie il a quand même vu des choses extraordinaires, en espérant qu'il voit là-haut le monde différemment et qu'il le voit tel qu'il se l'était imaginé. Mais maintenant, les choses ont tourné, et c'est moi maintenant qui le remplace en partie, car j'aurai toujours en moi une part de lui, et je pense que c'est là un très beau cadeau qu'il m'a fait.

Les mains de mon père pour moi restent un mystère, étant donné que je ne l'ai pas vraiment connu, mais je vais les décrire telle que je m’en souviens. Ces mains étaient imposantes, légèrement poilues sur les extrémités, avec les doigts très fins, on appelle cela les doigts de pianiste. Ses ongles étaient très bien coupés, de couleur nacre, car mon père n'aimait pas avoir les ongles sales ou mal coupés. En tout cas, quand j'étais petit, ces mains si délicates, adorées, bougeaient et jouaient sur des instruments de musique tels que guitare ou piano, car un soir mon père jouant du piano pour un gala, je remarquais que ses doigts se posaient méthodiquement et sans difficultés sur les touches du piano, comme s’ils avaient appris par coeur tous les morceaux de musique que jouait mon père, et là je me demandais si ces doigts étaient intelligents.

Sinon, ces mains pour moi me vouait une délicate attention, car quand j'étais un nourrisson, elles me portaient, elles me caressaient tendrement, elles me donnaient aussi le biberon lorsque je braillais dans mon landau, en tout cas les mains de mon père ne se reposaient jamais car j'étais vraiment un sacré emmerdeur lorsque j'étais petit. En tout cas, j'aimais les mains de mon père quand il mettait de la bière dans mon biberon, lorsqu'il m'avait emmené me promener et qu'il s'était arrêté dans un bar, mais par la suite mon père s'est fait incendier par ma mère, car ma mère l'a surpris quand il m'avait mis de la bière dans ma bibine. Mais les mains de mon père restent pour moi des objets d'art créés par la nature qui a été guidée par des anges paradisiaques, qui ont amené de la beauté à ces mains si délicates. Voici la fin de mes savoirs sur mon père.

Dans ma poche, j'ai toujours sur moi une photo de mon père, mais il est très jeune dessus, il est habillé en scout (louveteau).

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