Le père de Chrystel

Les mains de mon père étaient petites mais avec de gros doigts. Elles commandaient sans cesse à la maison, au travail. Papa parlait beaucoup avec ses mains. Maintenant elles ne servent qu'à cela, à donner des ordres, alors qu'avant dans sa jeunesse, elles ont vu la terre ( papa travaillait avec mon grand-père dans les champs), les métaux ( il a commencé comme serrurier ), la farine ( boulanger ), ses petites lunettes pour lire le journal qui le rendaient déjà sévère.

Je me rappelle des mains de papa qui nous caressaient le corps quand il nous faisait prendre notre bain, ses mains paraissaient très sures d'elles.

Après l'école, papa aidait beaucoup mon grand-père qui était cultivateur; il avait quelques parcelles de terre pour faire son jardin et beaucoup d'arbres fruitiers ( surtout des prunes pour faire de la goutte ). Je me rappelle qu'on a aidé papa à ramasser ses prunes. Il avait également quelques bêtes ( vaches, moutons, lapins, poules ). Ses mains servaient aussi à tuer ses bêtes, elles devaient être froides.

Dans son adolescence, papa a fait plusieurs travails, tout d'abord comme apprenti-boulanger, là aussi ses mains avaient un rôle important, pétrir la farine pour faire du bon pain, aller mettre ce pain dans un four brûlant: ses mains devaient être très chaudes.

Puis il a travaillé dans une fabrique de pâtes où il devait percer des trous dans des coquillettes et autre sortes: c'était un mouvement plus minutieux, plus précis.

Après il a commencé dans le sous-sol de notre maison à faire ce métier de serrurier à son compte. Il fabriquait des contours de balcon en ferraille.

Puis il a monté son entreprise de chaudronnerie, tôlerie, charpente métallique avec 50 ouvriers sous ses ordres.

























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Le père de Lydia.

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Groupe d'écriture du foyer de S.O.S femmes accueil.

On se dit bien qu'ici ce n'est peut-être pas le bon lieu pour arriver avec ce mot – père. Que les femmes qui ont trouvé refuge ici ont dû accumuler tellement de colère contre les hommes – pères, maris, tous confondus – qu'on sera face à un refus. On s'y prépare. Et pourtant non. Elles sont toutes à écrire.

-Mais je n'écris pas du tout dit l'une.

Et comme si, écrivant à côté, écrivant autour, c'était en négatif qu'elles dessinaient quelque chose de leur père. Les contours.

Il y a celle qui vient avec ses enfants, et les laisse dans une autre pièce où on les garde.

Il y a celles qui n'habitent plus là mais viennent quand même pour écrire.

Il y a celle qui écrit sur de grandes feuilles, et celle qui écrit sur de tout petits morceaux de papier qu'elle plie en six avant de les remettre pour qu'on les lise.

Il y a celles d'ici et celles d'ailleurs qui ne font que passer ( elles l'espèrent ).

Il ya celles qu sont à peine mères et celles presque grand-mères.

Il y a Marnaval et Constantine.

Il y a l'usine et le service en gants blancs.

Il y a celle qui préfère parler d'autre chose et celle qui a cru longtemps que son grand-père était son père, alors parfois elle confond.

Il y a ce partage des gestes simples de la terre: ceuillette, chasse, cuisine.

Il y a ces habitudes d'hommes passées à la fille et ces savoir-faire de femmes qui partageait le père.

C'est même difficile d'arrêter une fois les mots mis en route. On se dit que ça pourrait durer. Et devenir toute une vie, écrite, comme à avoir levé le couvercle et maintenant les mots, les mots.

- Je pourrais en remplir des cahiers.

Quelques unes le font.

Mais elles ne montrent rien.

Ou parfois.

Un poème.

Mais ce n'est pas pour ici.

Secret de mots qu'elles gardent.

Michel Seonnet.