Le père de Ahmed

Ce que j'ai vraiment appris et continue d'apprendre de mon père, c'est de ne pas faire de conneries. Mais ce qu'il ne comprend pas, c'est que quand on est jeune on n'a qu'une envie, c'est de s'éclater.

Je ne connais pas grand chose de sa jeunesse.

Je sais qu'il est né en Algérie et qu'il est en France depuis plus de quarante années.

Ce que j'ai retenu de lui, c'est que son rôle de père, c'est clair, il le joue encore, je ne suis pas contre, mais de toutes façons je n'ai pas le choix, mais je le respecte et pour moi c'est ce qui compte le plus.

Ce qui m'impressionne chez mon père, et qui est un facteur important aussi, c'est qu'il est assez grand, assez corpulent, massif, et ses grosses mains que j'ai tellement goûtées.

Tous les matins, c'est la même chanson. J'entends ses pas traversant la salle-à-manger, puis la clanche, et enfin sa voix. Je peux vous dire que j'attends pas qu'il le répète une deuxième fois.

Mais ce qui nous a réuni, qui nous a créé un nouveau lien, c'est quand j'ai rapporté un chien à la maison. C'est vrai qu'on a passé des moments merveilleux mon père et moi avec ce chien. C'est là que j'ai réalisé son amour pour les animaux que je ne savais pas.

Pour ses journées, je sais qu'il les passe avec des amis sur le centre commercial du Vert-Bois.

Mais il regarde beaucoup la parabole, les chaînes arabes. Nous étions obligés d'acheter une télé pour la mettre dans la chambre, car la télé du salon était réservée à mon père.

Je sais que mon père est têtu et que nous tenons de lui.

Mon père aime bien rigoler et surtout avec ma mère.

Je crois que ma soeur lui a réalisé son plus beau cadeau, c'est de lui avoir payé son voyage à La Mecque. Je vois qu'en ce moment il est très content. Il va partir début février pour y rester un mois et demi. C'est vrai que pendant un mois et demi ça va faire un vide chez moi.

Il y a une semaine de ça, il a invité environ une vingtaine d'amis chez moi pour fêter son départ à La Mecque. Ils ont mangé du couscous, ont bu du thé, des gâteaux, bref ils se sont bien éclatés. Je n'étais pas là à ce moment. Mais quand je suis rentré mon beau-frère m'a un peu raconté ce qui s'est passé et il m'a dit que mon père et ses amis se racontaient des souvenirs de leur jeunesse. Je n'étais pas là pour écouter ce qu'ils se sont raconté, mais j'aurais bien aimé être là pour connaître vraiment ce qu'il faisait lui et ses amis. Mais mon père nous a dit qu'il va bientôt retourner en Algérie avec ma mère pour finir ses jours là-bas en son pays natal.

Son pays natal, je sais qu'il y part chaque année pendant les vacances avec ma mère et mes frères. Il démarre de Saint-Dizier en voiture jusqu'à Marseille. Puis ils montent dans le bateau jusqu'à destination d'Alger ou d'Oran. Mais nous habitons à une trentaine de kilomètres d'Oran. Il vient d'acheter une grosse maison pour avoir plus d'espace et de confort mais surtout pour le jardin qu'il tenait tant à avoir. Mais je sais que les journées là-bas il les passe le plus souvent avec ma mère ou ma famille. Le plus souvent nous passons nos journées à la plage à Oran.

Mon père a de grosses mains mais elles sont dures, usées, en voyant ses mais on se dit qu'il a dû beaucoup travailler pour avoir des mains comme celles-là. En tout cas je sais qu'il s'en est servi contre moi quand je faisais une bêtise. Sur ses mains il a des tatouages, une étoile, des points, des traits, je ne sais pas ce que cela représente. Sous ces tatouages on peut apercevoir des cicatrices qui se voient mais qui se sont effacées au cours du temps. Ces cicatrices doivent peut-être représenter les bagarres qu'il a dû avoir au cours de sa jeunesse. Mais il y en a qu'une qui est assez grande par rapport aux autres, peut-être un coup de couteau je ne sais pas, mais je sais que toutes ces marques sur ses mains représentent sa vie, c'est comme une photo que l'on garde sur soi. En voyant ses mains je me dis qu'il a dû se battre durement pour gagner sa vie et que vues ses origines, cela n'a pas dû être facile pour lui. Mais peut-être ses tatouages représentent des moments de bonheur pour lui. Mais peut-être que ces dessins représentent une carte, un chemin dans sa vie.


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Le père de Cédric.

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Groupe d'écriture du GRETA

Ici, c'est pour apprendre que l'on vient. Parce que, que l'on ait 20 ou 50 ans, on a suivi des chemins professionnels pas satisfaisants et que l'on veut autre chose : autre savoir, autre métier.

Tous sont ici pour préparer un diplôme en électrotechnique.

Et pas pour écrire - ils le disent.

Surtout pas sur ce thème.

- D'ailleurs, dit David, moi je peux pas. C'est à peine si je l'ai connu. Il est mort quand j'étais tout petit.

On réexplique.

Qu'on l'ait connu ou pas ça ne change pas grand-chose. Écrire, c'est toujours d'une certaine manière inventer. Et puis il y a ce que l'on a entendu, ce qu'on nous a raconté - ce qu'on a imaginé.

David accepte de faire une liste.

Ce que, malgré tout, il sait de son père.

Marie-Noëlle a déjà retrouvé son père au fond de son jardin.

- Maintenant qu'il est à la retraite, elle dit.

Et on voit bien que pour elle écrire sur son père est promesse d'enchantement.

A l'autre bout de la table, les autres n'ont pas bougé.

- Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise ? Mon père c'est bonjour bonsoir, c'est tout. Je sais rien de lui.

C'est comme à jeter des hameçons.

- Je ne connais pas grand-chose de sa jeunesse, dit Gervais.

Pour Stéphane, c'est beaucoup trop d'effort. Trop de concentration. Il se met à trembler. Sort. Mais quand finalement il revient, les mots sur la feuille, c'est :

Mon père est quelqu'un de très gentil...

Et puisque même lui s'y est mis, les autres suivent.

Clément :

L'image de mon père était très difficile à supporter...

Cédric :

Tout petit, je le vois encore....

Ainsi pendant des semaines. Chaque fois on relit les textes écrits la fois d'avant. Silence. Écoute. Respect - on ne sait pas si c'est pour les mots ou pour les pères qu'ils convoquent. On s'habitue à la manière de chacun.

Les récits précis de Marie-Noëlle.

Les arabesques de Gervais.

Les retrouvailles de David.

Les voitures de Cédric.

Le peu de mots d'Ahmed ramenés du silence.

Et Stéphane qui finit par s'émerveiller de ce dont il se découvre capable.

Comme si à écrire "père", c'était soi-même, fils et fille qu'on s'inventait.

Michel Seonnet.