CHRONIQUE
N°4 - SUR LE TOIT DE LA M.J.C. (par Michel Seonnet)
Au
milieu de lautre-ville il y a une M.J.C - Maison des Jeunes
et de la Culture. Cest par là que jai voulu
commencer. Cest là que jai rencontré
les premiers habitants de cette ville sur le coteau. Que jai
parlé avec eux. Que jai écrit ce qui devait
devenir émissions de radios. Cest de là que
jai essayé de regarder la ville.
Je
suis sur le toit de la M.J.C. Un appareil de photos jetable à
la main. Comme si je voulais me donner à moi-même la
preuve de ce que je vois.
Tout
est là. Des friches de Marnaval à la tour bleue et
blanche de Miko. Des lointaines boucles de la Marne à la
girouette solennelle des anciennes Brasseries du Fort Carré.
De ce qui reste des bois alentour au clocher de léglise
Notre-Dame, au centre-ville. Plus près, ce sont les
bâtiments. Barres et tours. Et cette sorte de terrain
vague, au pied de la M.J.C.
Dans
les yeux, le soleil qui sen va quelque part en direction du
Der.
Et
à la verticale le surgissement des réacteurs, cette
manière de déchirer le ciel comme une feuille de
papier et dy signer sa trace - les jaguars de la Base
aérienne. La bande son de toute une ville.
Mais
à rester à une telle altitude on finirait par
croire aux privilèges de qui voit les choses de haut.
Je
redescends.
Cest
les vacances. Il y a des enfants dans la M.J.C.
Et
une jeune femme qui les accompagne.
Un
visage.
Un
visage qui dit : Ah vous êtes écrivain, vous ne
pourriez pas venir parler avec les enfants, vous savez, pour eux,
les livres cest un peu loin, alors un écrivain, ça
les...
Cest
un visage qui rougit de sa propre audace mais qui nen perd
pas pour autant sa persuasion.
Un
visage qui est accueil. Pudique. Ouvert. Un visage que lon
devine curieux de tout. Prêt à apprendre. A
découvrir. Prêt à profiter de toutes les
chances offertes par le jour qui vient.
Il
a décidé que ce jour-là, cette chance
cétait lécrivain de passage.
Déjà
je suis assis au milieu des enfants. Ils parlent de la buse. Ou
plutôt : ils veulent que je vienne jouer avec eux sur le
Terrain de la buse, et comme je demande quelle buse,
ils disent quoi, vous connaissez pas la buse ?
Alors
ils parlent de loiseau. Quils ont vu. Que tout le
monde a vu. Qui a donné son nom au terrain qui navait
pas de nom.
Ils
disent : Elle est noire. Marron. jaune. Elle a des taches
blanches.
Ils
disent : Elle vient le matin. Le soir. Lété.
Au printemps.
Ils
disent quelle chasse les mulots. Quelle mange les
godins.
Les
quoi ?
Vu
lorigine des enfants qui me parlent, je demande naïvement
si ce mot vient de lArabe.
Eclats
de rire.
Cest
du français, msieur.
Ils
ont quand même lair de se demander si un écrivain
qui ne connaît pas les godins est un vrai écrivain.
Japprends
ainsi mon premier mot bragard.
Et
je vérifie lobligation dans laquelle se trouvent les
hommes - et les enfants - à donner des noms à tout
ce qui nen a pas. Comme au premier jour.
Ce que
jappelais sorte de terrain vague, est en fait
pour tout le monde le Terrain de la buse. Un nom
écrit nulle part.
Retour
haut de page.
Jeux
d'enfants.
Chronique
suivante.
Retour
en ville.
|