... ( ... ) ...















ANDRÉ DERAIN

chante - pinsons - dressoir et pots crue en poète.

Il s'entend de patine à velouter ;

le soir

une fleur des genêts sa corne vous lutine.

Allons !

tant qu'un neigeux Olympe déjeunait

en voulut-il

à son éclat? - Pommiers –

Songeuse

mystique aux mains

ces langes bleus comme un glaçon,

l'humain frémisse

et toi: le premier-né c’est l'ange !

- A vol d'oiseau. - Que mousse

entre vos feuilles, toits exquis,

la rose blanche et qui fond, de fumée !

Où, selon que mes doigts

débouchent à l'odeur – Mail ! - ce tube ou

d'almée

un pantalon chiffonnent,

m'épandre aussi verdeur à travers?

Qu’un semblant de cornette bouffonne

(et ta coiffe empesée)

appelle : tout tremblant

le ramage turquin, ma soeur, des noms en zée.

Ah ! plus ce brouillard tendre.

André Breton in Clair de Terre.















































































































































































































































































































































































































































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Chapitre V

La Main de Massiges

24 décembre 1915 - 26 juin 1916

La Main de Massiges, forte position située à l'Ouest du village de Massiges, en Champagne pouilleuse, est ainsi appelée parce qu'elle représente une énorme main dont le poignet serait tourné vers le Nord, le Pouce appuyé à l'Ouest à la Butte du Mesnil et l'Auriculaire s'étendant à l'Est dans la direction de Ville-sur-Tourbe. Les doigts de la Main sont séparés par des ravins appelés : Col des Abeilles entre le Médius et l'Index ; ravin de l'Étang entre l'Index et le Pouce et enfin le ravin de la Faulx entre le Pouce et la Butte du Mesnil.

Le 24 décembre, dès que la nuit fut venue, mon Bataillon quitta donc Courtemont pour monter en 2e ligne à l'Index. Dire que la gaieté régnait serait mentir, nous pensions aux réveillons d'antan et celui que nous passions pour l'instant n'avait rien qui leur ressemblât, à beaucoup près... Nous suivîmes la route de Courtémont à Minaucourt jusqu'au-delà de la ferme de Croisilles qui n'avait plus d'une ferme que le nom, car elle était entièrement rasée, seuls quelques débris d'instruments aratoires indiquaient aux passants que jadis, à cet endroit, existait une exploitation agricole. Par suite du mauvais état de la route, après avoir dépassé cette ferme, nous prîmes à travers la plaine croyant que ca irait mieux, ce fut encore pire que sur la route, la neige et la pluie des jours précédents avaient détrempé le sol, dans lequel nous enfonçions jusqu'à mi-jambe, empêtrés dans cette boue calcaire de Champagne qui colle comme du mastic ; enfin, après maints efforts laborieux, nous parvînmes à nous dégager de cette boue gluante et nous atteignîmes Minaucourt, en ruines également. Après avoir franchi la Tourbe au pont de Minaucourt, nous prîmes la direction de Massiges que nous laissâmes sur la droite et après avoir longé l'Auriculaire, l'Annulaire et le Médins , nous arrivâmes enfin à l'Index, en piteux état, bordés de boue jusqu'à la ceinture, et d'humeur morose, il était deux heures du matin... pour un beau réveillon, c'en était un ...

Bien qu'arrivés en pleine nuit, nous avions une petite idée de l'état du nouveau secteur que nous venlons de prendre, mais nous ne nous l'imaginions pas si déplorablement sale. Les coloniaux qui venaient de passer là cinquante jours, n'avaient pas touché à un outil, pas de boyaux, pas de cheminements, pas de passerelles sur les trous, rien que de la boue, encore de la boue et toujours de la boue, le 115e Terrassier avait du travail de tracé.

Le soir de Noël, je fus désigné comme chef de corvée pour aller à Massiges chercher le ravitaillement de la Compagnie et du Bataillon de 1 ère ligne. Je partis vers 8 heures du soir avec une quarantaine de poilus sous une pluie battante, m'éclairant avec une lampe électrique de poche. Je ne me souviens pas avoir pris jamais un bain de pieds pareil à celui que je pris ce jour - là : le long du Médins et des deux autres doigts avait été établi un chemin de rondins qui allait jusqu'à la route de Massiges, seulement, comme on avait négligé de faire des rigoles d'écoulement de chaque côté, les pluies précédentes avaient soulevé les rondins qui, surnageant sur trente centimètres d'eau, s'enfonçaient dans le liquide chaque fois que l'on posait le pied dessus, seulement si le rondin revenait à la surface, le piéton, lui, restait au fond, et cela se répétait sur une longueur de 1500 mètres, on devine sans peine si nous étions trempés !!... Encore, à l'aller il n'y eut que demi-mal, les poilus n'étaient pas chargés, mais en revenant avec des fardeaux de 40 à 50 kilos, sacs de pains, sacs de viande, de charbon, etc., ce fut non seulement dur, mais navrant, triste à en pleurer. Les malheureux poilus s'enfonçaient tout d'un coup dans la vase jusqu'à la ceinture, attendant, stoïques, qu'on vienne les retirer de leur position fâcheuse, mais ne lâchant pas leurs fardeaux : “ Il faut penser aux copains qui sont en ligne ! “ disaient-ils ; les braves garçons ! Que d'héroïsme caché sous leurs dehors frustres, ils ne songeaient pas à la boue qui leur glaçait les reins, ils ne pensaient uniquement qu'aux camarades qui étaient là-haut, au poste d'écoute, et qui, le lendemain, seraient heureux d'avoir du “ jus “ et de la bonne soupe chaude avec les denrées qu'ils avaient préservées de toute atteinte. Un dernier détail dépeindra mieux encore la situation pénible dans laquelle nous nous trouvions : le ravitaillement se faisait à dos d'homme, parce que les mulets ne pouvaient se mouvoir dans cette mer de boue, ce que la bête ne pouvait faire, l'être humain le faisait... cruelle nécessité causée par la guerre, cette guerre au cours de laquelle l'Humanité aura connu des misères et des souffrances sans précédents.

Pendant les huit jours que dura notre séjour à l'Index nous travaillâmes avec ardeur à assainir le secteur et quand vint la relève nous pouvions circuler à pied sec à peu près partout. Le secteur fut relativement tranquille pendant cette huitaine, peu ou pas d'obus, nous commencions à reprendre courage et à nous habituer dans notre nouvelle villégiature, mais... ce calme trompeur ne devait guère durer...

Le 31 décembre, le 117e vint nous relever. A cette époque, la relève se faisait par régiment et non par bataillon comme cela eut lieu par la suite. Le 117e relevait le 115e, le 130e relevait le 317e et vice versa. Nous prîmes notre repos à la cote 202, située à mi-chemin de Courtemont et de Minaucourt ; nous fêtâmes comme il convient le Nouvel An et d'autant plus dignement que Noël n'avait pas été positivement des plus réjouissant.

Les huit jours de repos se passèrent vite et le 8 janvier au soir nous reprenions la direction de l'Index, seulement, notre séjour allait être un peu moins calme que le précédent. Dès le lendemain matin, les Allemands commencèrent à faire des tirs de réglage par obus et par torpilles sur tout le front du 115e et clu 317e qui, en liaison avec nous sur la gauche, occupait le secteur de Maisons de Champagne. A partir de midi, le bombardement s'étendit sur l'arrière, la Butte du Mesnil, le Pouce, I'Index, les ravins de la Faulx et de l'Etang devinrent dangereux à traverser, il y avait de l'attaque dans l'air...

Vers les deux heures de l'après-midi, le capitaine André m'envoya, avec une corvée de dix hommes, chercher des planches de coffrage dans les vieux abris allemands situés sur le Médius. Je revenais vers quatre heures quand, tout à coup, le bombardement devint d'une intensité extraordinaire ; levant les yeux, j'aperçus, poussée par le vent, une énorme masse de fumée noire qui s'avançait sur l'Index : les Allemands attaquaient aux liquides enflammés !... Rapidement, j'emmenai ma corvée à l'Index où nous arrivâmes juste à temps pour nous équiper, le Bataillon était alerté, cela va de soi. Pendant une demi-heure il fut nettement impossible de sortir des abris, faire un pas dehors eût été marcher à une mort certaine ; nous attendions, anxieux, l'ordre de monter en 1ère ligne pour contre-attaquer, lorsque survint un coup de téléphone annonçant la fin de l'attaque et son résultat : le 115e avait tenu bon et n'avait pas perdu un pouce de terrain ; en revanche, le 317e avait perdu deux lignes de tranchées et environ deux cents prisonniers ; nous poussâmes un soupir de soulagement, du moment que le régiment n'avait rien perdu, il n'y avait rien à reprendre, la contre-attaque revenait de droit au 317e qui n'avait pas pu garder le terrain qui lui était confié ; ainsi raisonnions-nous entre nous mais il devait en être décidé autrement...

Trois jours plus tard, le Bataillon fut relevé subitement de l'Index, chacun se demandant pourquoi, nous n'avions que quatre jours de faits ; cette relève nous paraissait anormale. Nous fûmes cantonnés au Ravin des Pins, à quelques centaines de mètres de la ferme de Croisilles. La relève ayant eu lieu inopinément le cantonnement n'avait pu être préparé à nous recevoir, aussi les abris laissaient-ils à désirer. Bas d'étage (c'est à peine si l'on pouvait s'y tenir debout) laissant filtrer l'eau comme une éponge, nous n'avions même pas une malheureuse botte de paille pour nous coucher ; force nous fut d'y remédier en coupant des tiges de sapin pour nous servir de matelas... en un mot, tout le confort moderne !...

Le lendemain de notre arrivée, le capitaine André rassembla les sous-officiers et nous donna la raison de la relève. Les deux lignes de tranchées perdues par le 317e constituaient pour les Allemands un observatoire merveilleux d'où ils apercevaient tout ce qui se passait à l'arrière de la Main de Massiges et par conséquent harcelaient toutes les corvées, ravitaillement, travailleurs ou autres, rendant impossible tout mouvement effectué en plein jour ll fallait à tout prix reprendre cet observatoire, constitué principalement par la 2e ligne perdue, et il avait été décidé en haut lieu que ce seraient le 115e et le 130e régiments d'active composés d'éléments plus jeunes que le 317e régiment de réserve, qui seraient chargés de l'opération. Il ajouta en terminant qu'il comptait sur nous pour maintenir la bonne réputation du 115e, qu'en somme ce n'était qu'une petite opération facile à faire, que c'était un honneur qu'on nous faisait de nous la confier, etc. etc. En nous-mêmes, nous n'étions pas du tout flattés de l'honneur que l'on nous faisait, nous nous disions que si le 11 5e ou le 130e avait perdu du terrain, ce n'aurait pas été le 317e qui serait venu le lui reprendre, enfin, c'était l'ordre, il n'y avait qu'à s'incliner et nous nous mîmes dès lors à préparer l'opération.

Afin de mieux faire comprendre aux hommes quel était l'objectif à enlever, le Colonel Retrouvey, commandant la 16e Brigade, fit tracer sur le terrain une reproduction exacte des tranchées à enlever. Ma compagnie, la 3e, se trouvait placée au centre, appuyée à droite par la 2e et à gauche par le 130e ; l'attaque devait être précédée d'une préparation d'artillerie de quatre heures et se faire ensuite par boyaux et à la grenade ; de plus, des sapeurs du génie devaient coopérer à l'attaque en lançant du liquide enflammé. Une répétition générale eut lieu devant le général de Division d'Infreville, elle donna d'excellents résultats, restait à savoir si tout marcherait de la même façon quand ce serait la réalité. Enfin, les préparatifs étant terminés il n'y eut plus qu'à attendre que le vent nous soit favorable, en raison de la coopération des lance-flammes ; comme nous ne pouvions rester indéfiniment dans l'expectative au Ravin des Pins, nous montâmes à la cote 171 au nord du ravin de Marson à un kilomètre environ derrière l'Index.

Pendant quelques jours nous ne fîmes que poser des réseaux de fils de fer en avant de cette position puis, le 2 février arriva l'ordre : “ si le vent ne change pas, attaque demain “. Le lendemain matin, nous descendîmes à 180 en tenue d'assaut, couverture et toile de tente en sautoir, vivres de combat, etc... Nous touchâmes un demi-litre de vin en supplément aux cuisines puis nous attendîmes l'ordre de départ pour le Ravin des Noyers où se trouvait notre secteur d'attaque. Or, il arriva ceci : c'est que, une fois le vin distribué, le vent qui jusqu'alors soufflait du sud sauta brusquement au nord, rendant l'attaque impossible ce jour-là en raison de la coopération des lance-flammes, l'opération fut donc remise au lendemain et nous remontâmes à la cote 171 ; quant au “ pinard “ touché spécialement pour l'attaque, il ne fut même pas question de le rendre, la plupart des poilus l'ayant avalé séance tenante...

Le lendemain, même répétition que la veille, descente à 180, distribution de vin, vent favorable au petit jour et brusque saute au nord vers les 8 heures, les poilus tiraient de leurs pipes de larges bouffées qu'ils lançaient en l'air pour voir de quel côté le vent entraînerait la fumée ; n'eût été l'heure toujours grave de monter à l'assaut c'eût été comique... Finalement, vers 9 heures arriva une note de la Brigade contenant ces seuls mots : “opération remise à une date ultérieure”. Nous remontâmes une seconde fois à la cote 171 joyeux, ma foi ! C'étaient toujours quelques jours de plus à vivre pour certains d'entre nous !...

Le 10, départ de la cote 171, nous retournâmes au ravin des Pins où l'on apprit en arrivant que, quelque temps qu'il fit, l'attaque devait avoir lieu le lendemain, cette fois c'était sérieux. On nous dota de cuirasses, dites “ cuirasses Adrian “, sortes de lamelles de fer assemblées et recouvertes de gros drap qui nous protégeaient la gorge, la poitrine, le ventre et les cuisses ; c'était lourd, fatigant à porter, et d'une eff¦cacité douteuse, une balle passait au travers comme dans du bourre et un éclat de moyenne force les traversait également, en un mot, cela ne répondait en aucune façon au but visé par l'inventeur. C'était, paraît-il, un essai que l'on voulait faire et, avant d'en doter l'Armée entière, le Haut Commandement voulait avoir l'opinion des combattants, de plus, l'inventeur avait oublié un détail important : dans l'Armée française il y a des soldats de toutes tailles, tandis que ses cuirasses étaient faites sur un modèle unique. Résultat : les cuirasses étaient trop grandes pour les petits et trop petites pour les grands. Enfin, après un ajustage qui s'avéra laborieux chacun finit par s'arranger de la sienne.

Le 11 au petit jour, nous quittâmes le ravin des Pins pour aller d'abord à la cote 180 où devait avoir lieu la distribution des munitions ; il faisait un temps exécrable, on ne peut plus mal choisi ; la neige, tombée la veille et l'avant-veille, avait détrempé le terrain, et pour ajouter à notre guigne une pluie fine, sorte de neige fondue, se mit à tomber sans arrêt à partir de 8 heures. A 11 heures, arrivée au Ravin des Noyers ; nous prîmes position, en attendant l'heure de l'attaque, dans des abris situés dans le boyau Lovaux ne laissant en 1ère ligne qu'un veilleur par section qui était relevé tous les quarts d'heure. A midi le bombardement cornmença et pendant quatre heures ce fut un roulement continuel d'explosions d'obus et de torpilles. Les Allemands répondaient avec énergie sur nos premières lignes et sur nos batteries.

A quatre heures moins le quart, la Compagnie se massa en première ligne, prête à se porter en avant. J'avais, avec ma demi-section, une mission spéciale à remplir : au signal d'attaque je devais monter sur la plaine, franchir en vitesse l'espace qui séparait les lignes allemandes et françaises et sauter dans un petit poste allemand afin de prendre à revers les défenseurs de la tranchée ennemie qui, pendant ce temps, seraient occupés à se défendre à gauche contre le reste de la compagnie attaquant par le boyau B 1. Afin de me faciliter la tâche, on avait fait creuser une sorte de petit boyau qui s'avançait comme un bras entre les deux lignes et à l'extrémité duquel était placée une échelle qui devait servir à l'escalade. Je m'engage avec ma demi-section dans le dit boyau, mais ceux qui l'avaient fait creuser n'avaient pas prévu notre équipement anormal, la cuirasse, la couverture et la toile de tente nous donnaient un diamètre supérieur à la largeur du boyau, au bout de quelques pas, impossible d'avancer ; je commande demi-tour et nous revenons en 1ère ligne. Le capitaine André passait justement, je lui expliquai la situation en lui demandant ce qu'il y avait lieu de faire : “ Engagez-vous dans B1 et appuyez l'attaque derrière la section Maurice “ me dit-il ; aussitôt dit, aussitôt fait. A quatre heures exactement, le génie fait sauter à la mélinite les barrages en sacs à terre, les sapeurs arrosent le boyau avec leur pétrole enflammé et nous nous élançons en avant en nous frayant un passage à la grenade. Tout d'abord, nous progressons sans trop de peine, l'attaque a visiblement surpris les Allemands qui ne s'attendaient pas à notre visite ; nous gagnons ainsi cinquante mètres dans le boyau ce qui nous conduit presque au carrefour de la tranchée à enlever mais là, nos ennemis s'étant ressaisis, nous opposent une vive résistance et un furieux combat s'engage à la grenade, au cours duquel nous subissons de fortes pertes, la majeure partie en blessés légers, heureusement.

Le fond du boyau, sous le piétinement des combattants se transforme bientôt en un épais mortier dans lequel nous enfonçons jusqu'aux genoux. Par suite de son étroitesse nous marchons sur les corps des camarades tués, le caporal Dromer, tué d'une balle au moment où il sautait le deuxième barrage, se trouva ainsi enseveli au bout de dix minutes. Le caporal Jean Busson faillit être enterré vivant, blessé au début de l'attaque, il s'était évanoui sous la souffrance et tombé la face dans la boue, obstruant tout le boyau. Le croyant mort, nous l'avions piétiné dans le va-et-vient du ravitaillement en grenades et il était à moitié enterré, asphyxié presque, lorsque au bout d'un quart d'heure je le vis faire un léger mouvement, je m'empressai de le dégager de la glaise et le fis diriger sur le poste de secours, il l'avait échappé belle !...

Cependant l'attaque se déroulait mais n'amenait pas le succès escompté. Si le 130e et la 3e compagnie atteignaient leurs objectifs (dans lesquels était compris le fameux observatoire) en revanche, la 2e compagnie à droite, malgré ses tentatives répétées n'avançait pas d'une semelle, une mitrailleuse allemande prenant le boyau d'enfilade, empêchait toute progression de ce côté, si bien qu'à la tombée de la nuit, la situation pouvait se résumer ainsi : trois cents mètres de tranchées avaient été enlevés et une soixantaine de prisonniers faits ; deux cents mètres de tranchées et quarante prisonniers à l'actif du 130e, le reste à la 3e ; la liaison était établie à gauche, mais à droite nous restions toujours en contact avec les Allemands ; notre flanc droit se prêtait donc merveilleusement à une contre-attaque, situation dont les Allemands ne manquèrent pas de profiter comme on le verra plus loin.

Sitôt la progression arrêtée, nous nous mîmes en devoir d'organiser le terrain conquis, niches et créneaux pour les tireurs, pose de fils de fer en avant, confection de barrages en sacs à terre à droite et en avant. Avec les débris de ma section (dont j'avais pris le commandement, les deux autres sergents ayant été blessés) je fus chargé de la confection et de la garde du barrage d'avant. Jusqu'à minuit nous fimes les terrassiers empilant les sacs à terre, pataugeant dans la boue, sales, à ne pas nous prendre avec des pincettes, nous n'étions cependant pas encore au bout de nos peines.

A une heure du matin : alerte ! Les Allemands tâtent la solidité du barrage de droite, ils sont reçus à coups de grenade, au bout de dix minutes tout rentre dans le silence. A trois heures, nouvelle alerte, mais cette fois c'est la contre-attaque en règle, un tir de barrage formidable se déclenche puis, un groupe d'Allemands ayant profité de la nuit noire pour monter sur la plaine, attaque le barrage de droite en prenant une partie de la Compagnie à revers et en criant à tue-tête “ Kamerades Franzosen rendez-vous ! Kamerades Franzosen, rendez-vous!” Voyant que nous ne sommes nullement disposés à nous rendre, ils se mettent à arroser la tranchée de grenades, enlèvent le barrage et obligent peu à peu la Compagnie à se replier vers le boyau d'attaque. Au début de la contre-attaque. J'avais aussitôt ouvert le feu en avant de mon barrage et, dans mon ardeur à lancer des grenades, je ne m'étais nullement aperçu du repli de la Compagnie, je ne m'en rendis compte que par l'explosion de plus en plus rapprochée des grenades ennemies et presqu'au même moment j'aperçus l'adjudant Clain qui levait ses grands bras en l'air en criant comme un possédé : “ Un fusil ! Tirez à droite ! Tirez à droite !” Nous ne restions plus que trois dans la tranchée, nous deux et un brave garçon nommé Duez, plus connu sous le nom de Double-Mètre en raison de sa haute taille. Je lui dis : “ Fais vite un nouveau barrage derrière moi pendant que je vais tâcher de les amuser un petit peu!” - “Mais et toi ?” fait-il inquiet en voyant que j'allais me trouver pris entre les Allemands d'une part et le barrage de l'autre - “Ne t'en fais pas!” lui répondis-je. En moins de temps qu'il ne faut pour l'écrire, j'avais sauté sur mon fusil, qui, resté dans le créneau, contenait encore six cartouches dans le magasin, je posai un genou à terre et je commençai à tirer lentement, posément, en prenant la tranchée d'enfilade, chaque fois qu'un ennemi s'avançait pour lancer sa grenade, je lâchais mon coup de fusil si bien qu'au bout de dix minutes, les Allemands cessèrent leurs efforts, la contre-attaque était enrayée... il était temps, une soixantaine de mètres nous restaient, boyau compris sur notre gain de la veille. Le barrage terminé, je l'escaladai et me mis à l'abri derrière pour reprendre du souffle, j'avais eu chaud pendant ces dix minutes !

Le reste de la nuit se passa sans incidents, et ce fut avec un gros soupir de soulagement que, vers les sept heures nous vîmes arriver la 10e Brigade qui venait nous relever ; j'étais tellement fatigué, épuisé par ces dix-huit heures de tension nerveuse que c'est avec l'allure d'un homme ivre, titubant, me buttant aux parois des boyaux que je pris le chemin de l'arrière, j'étais à bout.

Au lieu de descendre directement à l'arrière jouir d'un repos bien mérité, nous restâmes encore vingt-quatre heures au Ravin de la Faulx sous les obus et les minenwerfers qui nous tuèrent encore quatre hommes. Ces vingt-quatre heures je les passai à dormir, mais à dormir d'un sommeil de brute, couché sur la terre au fond d'une niche creusée dans la craie, sans boire et sans manger, n'ayant qu'un désir, qu'une pensée, dormir, dormir et dormir encore !

Le 13 dans le courant de la matinée, nous reçûmes enfin l'ordre de gagner le Ravin des Pins, on devine notre joie, le rassemblement fut vite fait, il est vrai qu'il était facile à faire, la compagnie avait perdu 75 hommes, dont une douzaine de tués. Ma section avait particulièrement souffert ; montés à l'attaque avec un effectif de 31 hommes, nous revenions six, moi comme sergent, un caporal et quatre hommes, j'avais eu vingt-quatre blessés et quatre tués. Je m'en tirais avec quelques égratignures, un éclat de grenade m'avait enlevé un peu de peau sur la main droite, un autre, ayant traversé la guêtre, était resté entre chair et peau à ma jambe droite, un peu de teinture d'iode là-dessus, et ce fut guéri. Nous descendîmes d'abord à la cote 180 où une bonne soupe chaude et un coup de “ pinard “ nous rendirent quelques forces ; puis de là, nous gagnâmes le ravin des Pins pour y prendre nos sacs que nous y avions laissés avant de monter à l'attaque. Le soir, nous entrions dans Courtémont reçus par la musique du 117e qui nous jouait une de ses marches les plus entraînantes.

A la suite de cette affaire, je fus cité à l'ordre du jour de la 16e Brigade ; quelques semaines plus tard, on me remit la Croix de Guerre qui me causa un légitime plaisir, car, sans vantardise, j'estimais l'avoir bien méritée.

Quant aux cuirasses, l'expérience avait été concluante. Elles convenaient merveilleusement à des cavaliers qui avaient des chevaux pour les porter mais, non à des fantassins ; la plupart d'entre nous les avaient jetées au début de l'attaque et trois mois après on en retrouvait encore sur les parapets ou dans la boue...

Les huit jours de repos à Courtemont se passèrent gaiement, après la haute tension nerveuse que nous venions de subir, ce fut le bon repos physique et moral, on ne goûte si bien la douceur de vivre que lorsqu'on vient de frôler la Mort. Pendant cette huitaine, des renforts venus de Mamers vinrent combler les vides causés dans nos rangs par l'attaque. Il y eut également quelque changement parmi les officiers, le capitaine André passa adjudant-major, adjoint au chef de Bataillon et fut remplacé à la tête de la Compagnie par le sous-lieutenant Cambeur, venu du 2e Bataillon.

Le 21 vers 8 heures du soir, nous nous préparions à remonter aux tranchées, quand notre attention fut attirée par une quantité inusitée de projecteurs fouillant la nuit sombre ; nous percevions nettement un bruit de moteurs et tout d'abord nous crûmes à un raid d'avions, quand, tout à coup, nous aperçûmes pris dans les rayons croisés de trois projecteurs un énorme ballon dirigeable, un Zeppelin semblant se diriger vers l'Ouest, c'est-à-dire vers Paris mais qui, au bout de quelques minutes évolua lentement et reprit la direction de l'Est gêné sans doute par les projecteurs et aussi par les obus lumineux qui décrivaient en l'air leurs gracieuses trajectoires.

L'heure du départ étant arrivée, nous nous mîmes en route tout en regrettant de ne pouvoir suivre les péripéties de cette chasse au monstre qui promettait d'être intéressante. Nous arrivions à hauteur de la cote 202 quand tout à coup un cri s'éleva, se répercuta sur toute la longueur de la colonne : “ Ça y est, il brûle!” J'aperçus alors dans la direction de Bar-le-Duc un point rouge qui grossit, grossit démesurément puis se mit à descendre lentement d'abord, accélérant sa vitesse au fur et à mesure qu'il se rapprochait du sol. Arrivé à moitié de la descente, l'énorme boule rouge se divisa en deux, les deux tronçons se mirent à descendre avec une rapidité vertigineuse puis, ce fut la nuit... le Zeppelin avait vécu ! Il était tombé en flammes près de Revigny abattu par les artilleurs d'une section d'auto-canons. Au-dessus de nos têtes un deuxième Zeppelin fut visible un instant dans le reflet des projecteurs mais, ayant aperçu la fin tragique de son compagnon de route, il n'insista pas et fit demi-tour. Ce raid de dirigeables, si piteusement échoué, concordait avec le début de l'offensive allemande contre Verdun, comme nous l'apprit le communiqué du lendemain.

Notre séjour à l'Index fut assez calme jusqu'à la fin de février ; nous commencions à nous tranquilliser, l’observatoire allait sans doute rester entre nos mains... nous avions compté sans l'obstination de nos ennemis !... Dès les premiers jours de mars, l'artillerie devint plus active, de part et d'autre le secteur redevint agité, laissant prévoir une action prochaine. Effectivement, le 6 mars, après une sérieuse préparation d'artillerie, les Allemands attaquèrent de nouveau, avec l'observatoire comme objectif, naturellement. Leur attaque ne donna pas les résultats qu'ils espéraient, le 115e conserva son observatoire, non sans pertes, mais il le garda, le 317e avait été moins heureux, une compagnie entière prisonnière, une soixantaine de mètres de tranchées perdues, décidément, c'était la guigne pour ce régiment, guigne qui avait des répercussions sur nous, car, lorsque le 130 et le 117e étaient en ligne les Allemands se gardaient bien d'attaquer ; il avait suffi que le 317e cédât à la première attaque pour que toutes les autres se fassent précisément lorsqu'il était en ligne ; nous en recevions les éclaboussures, naturellement.

La contre-attaque eut lieu le soir même à 9 heures par le 317e cette fois ; elle fut promptement menée : trente volontaires s'avançaient en rampant, tombèrent par surprise sur le dos des Allemands ébahis et avant que ceux-ci aient le temps de se ressaisir, ils étaient mis hors d'état de nuire et faits prisonniers au nombre d'une vingtaine, la situation était rétablie. Le lendemain midi, nous quittâmes l'Index pour aller relever en première ligne le 3e Bataillon épuisé par l'attaque de la veille ; la moitié de son effectif était hors de combat dont trois officiers tués, trois blessés. Le secteur était dans un état lamentable, les boyaux, les tranchées étaient comblés, nivelés sous les coups redoublés des grosses torpilles, à tel point qu'il nous fallut ramper à plat-ventre pour atteindre la première ligne. Nous y restâmes six jours, travaillant les nuits entières à remettre le secteur en état, refaire les parapets, réparer les réseaux, etc ; pour nous reposer le jour - quand nous n'étions pas de veille - nous n'avions comme abris que des petites niches creusées dans le flanc du parapet, et que l'on fermait en rabattant simplement une toile de tente par devant... pas de danger que l'on sente le moisi !...

Le 13, nous descendîmes au Ravin des Pins prendre un peu de repos ; cette fois nous fûmes logés un peu plus confortablement ; pendant notre absence les vieux territoriaux, les “ pépéres “ comme on les appelait, avaient érigé de grandes baraques en planches, dites “ baraques Adrian “ du nom de l'inventeur ; nous pouvions loger une Compagnie entière dans chaque baraque au milieu de laquelle était installé un poële... qui restait rarement éteint ! De plus des couchettes en fil de fer avaient été aménagées, c'était peut-être moins moelleux, mais certainement plus hygiénique que les cimes de sapins du séjour précédent.

Le 19, nous remontârnes en soutien au Bois des Camarades, situé sur les pentes sud de la Verrue, sorte de mamelon faisant saillie entre le Pouce et l'Index. Le 25, première ligne au Ravin des Noyers ; cette fois notre séjour se passa dans le calme ; l'agitation du secteur semblait s'être portée sur la droite tenue par le 2e Bataillon, principalement sur le secteur tenu par la 8e Compagnie, commandée par le capitaine Robo, mon ancien commandant de Compagnie du 124e. Cela provenait de ce que celui-ci avait construit en 1ère ligne un observatoire bétonné, d'où il apercevait tous les mouvements qui se faisaient à l'arrière des lignes ennemies. Les Allemands s'en étant aperçus et gênés par cet observatoire se mirent en devoir de le démolir à coups d'obus de 150, mais Robo, obstiné, le reconstruisait aussitôt, et les Allemands de rebombarder à nouveau ; naturellement, cela n'allait pas sans pertes de part et d'autre, c'était la lutte pour un point, lutte souvent plus coûteuse proportionnellement qu'une offensive de large envergure ; c'était le piétinement, le duel à coups de canons d'où les adversaires sortaient épuisés sans le moindre gain de part et d'autre.

A part quelques escarmouches dans le genre de celle énoncée ci-dessus, le mois d'avril se passa sans incidents notables ; la belle saison s'avançait à grands pas. Le secteur devenait insupportable. Le 5 mai, j'eus la joie d'obtenir ma deuxième permission du front, on devine si j'étais heureux !… Cinq mois s'étaient écoulés depuis la dernière permission, cinq mois au cours desquels j'en avais vu pas mal de dures, je n'étais vraiment pas fâché d'aller respirer un peu l'air du pays et faire une provision de courage pour les événements futurs, de plus, comme nouveauté, j'avais la Croix de Guerre à montrer à mes parents, aux amis, enfin un tas de bonnes raisons pour accepter avec joie cette bienheureuse permission !…

Lorsque le 17 mai je rentrai de permission, ma Compagnie était revenue à nouveau au Bois des Camarades ; parti des tranchées, je retournais directement aux tranchées, en proie à l'inévitable cafard qui accompagne toujours la rentrée du permissionnaire. Cette petite crise psychologique ne devait pas durer longtemps, une aventure qui m'arriva peu de temps après le retour, devait se charger de me changer le cours des idées ou si l'on veut employer une expression du front, me “ remettre à la page.

Afin d'éviter les surprises de l'ennemi, ses patrouilles fréquentes à cette époque, on avait imaginé, dans le secteur du 2e Bataillon d’électriser les réseaux placés en avant de la première ligne. A cet effet, une puissante dynamo avait été installée dans un solide abri du Pouce ; un fil électrogène, enterré afin d'éviter les ruptures, se prolongeait à travers les méandres des boyaux et, aboutissant à la première ligne servait à assurer le contact entre la dynamo et le fil électrocuteur placé dans le réseau barbelé. Dès que la nuit était tombée, on mettait la dynamo en marche, le courant électrique était établi sur tout le front du Bataillon et tout patrouilleur ennemi qui, tenté de nous surprendre, toucherait à ce fil devait tomber électrocuté (je dis : devait, car je n'ai jamais eu connaissance que le piège ait réussi seulement une fois !). Toujours est-il que, lorsque je rentrai de permission l'installation n'était pas encore terminée, une certaine longueur de fil électrogène restait à poser dans les boyaux. Comme c'était le Bataillon de soutien qui était chargé du travail, je reçus, deux jours après ma rentrée de permission, l'ordre de conduire en ligne une corvée de 20 hommes pour la pose du fil en question. Nous partîmes vers les sept heures du matin, de façon à être rentrés pour la soupe de dix heures. A notre arrivée c'était d'un calme parfait, puis vers neuf heures le secteur commença à s'agiter ; cela débuta d'abord par un échange de fléchettes, sortes de grenades à baguettes que l'on lance au fusil d'une tranchée à l'autre ; puis, l'artillerie se mit de la partie si bien que lorsque la tâche fut terminée vers 9 h 30, les 77 et 105 Allemands arrivaient de plus en plus serrés. Nous avions déjà pris le chemin du retour quand, tout à coup, un 105 éclata sur le parapet à dix mètres en avant : “ Faites passer que l'on force l'allure, dis-je en me retournant, il ne va pas faire bon ici tout à l'heure. ” Nous accélérâmes notre marche et nous arrivions presque à l'extrémité du boyau qui aboutissait au Pouce lorsque, me trouvant en tête, je dus m'effacer deux secondes pour laisser passer deux poilus qui montaient en sens inverse avec une petite charge de planches ; je pestais intérieurement contre cet arrêt et cependant c'est cet arrêt qui me sauva la vie...

A peine avais-je fait de nouveau une dizaine de pas que j'entendis un sifflement et une explosion simultanés... un 105 venait d'éclater à deux pas devant moi dans le boyau ! J'eus juste le temps de mettre un genou en terre, me cachant la figure avec mon bras gauche, d'un geste instinctif, m'attendant à être criblé d'éclats... rien, pas une égratignure ! A quoi tient la destinée parfois ?... Sans la rencontre inopinée des deux poilus, je faisais deux pas de plus et l'obus me coupait en deux. Étourdi par la commotion, je me relevai au bout de quelques secondes, à demi asphyxié par la fumée, le nez, les yeux, les oreilles remplies de terre et de fumée... et tenant toujours dans ma main droite une petite canne en bambou que j'avais serrée si fortement, que les nervures du bois s'étaient imprimées dans ma chair. Quand je sortis du boyau pour respirer un peu d'air pur, mes poilus m'accueillaient avec des cris de joie, selon leur propre expression, ils m'avaient cru “bouzillé “. Et je rentrais de permission ! Vraiment, comme réception, c'était soigné !... Pour le coup, mon cafard disparut ; bien que n'ayant aucune imprudence à me reprocher, je me promis d'ouvrir l'œil plus que jamais, je n'étais plus à Jublains mais à Massiges... La différence de situation se passe de commentaires !...

Le 23, le Bataillon monta en première ligne à la Verrue ; les postes de surveillance qu'on appelait alors sapes, plus tard petits postes ou P.P., étaient numérotés de 15 à 25. Avec ma section j'occupai la sape 25 située à l'aile droite de la Compagnie et du Bataillon. Les premiers jours se passèrent dans le calme, sans doute pour nous inspirer une confiance trompeuse quand, le 2 juin, le secteur se réveilla. A partir de midi, le bombardement commença sur tout le front du Régiment, s'étendant jusqu'à Maisons-de-Champagne tenu par le 317e, particulièrement violent sur les sapes 19 et 19 bis. J'étais justement de quart à ce moment-là et je me trouvais à la sape 25 sous une simple tôle ondulée qui, heureusement, me gardait des éclats ; à certains moments, la fumée était si dense que l'on n'y voyait pas à un mètre devant soi, cela promettait d'être sérieux. A quatre heures, les Allemands tentent d'aborder nos lignes, le barrage de 75, déclenché à la seconde, enraye leur mouvement. Deuxième bombardement, nouvel assaut à cinq heures, brisé net cette fois, par la section de mitrailleuses commandée par le sergent Foix de la C/M. Reprise du bombardement pendant une heure, nouvel assaut à six heures, cette fois il ne reste plus à Foix qu'une pièce de mitrailleuse, l'autre est enrayée par suite de l'explosion d'une torpille, elle suffit et l’assaut n'a pas plus de succès que les deux autres. Troisième reprise du bombardement, quatrième assaut à 7 heures, à ce moment, Foix n'a plus de mitrailleuse sa dernière pièce vient d'être broyée par un obus ; les Allemands réussissent alors à prendre pied dans la sape 19 et font prisonniers les quelques occupants mais, lorsqu'ils veulent les emmener dans leurs lignes, impossible, le 75 leur barre la route. Comment faire ? D'une part le 75, de l'autre la contre-attaque française qui va sûrement se produire. Ils n'hésitent pas. Ils jettent leurs armes, enlèvent leurs équipements, prêts à faire : “ Kamarades ! “ si la contre-attaque survient. Celle-ci survint effectivement, mais une minute trop tard pour pouvoir les cueillir ; profitant d'un léger relâchement dans notre tir de barrage, ils rentrent dans leurs lignes de toute la vitesse de leurs jambes (laissant ébahis les quelques poilus qui, un instant auparavant étaient leurs prisonniers et qui, redevenus libres, les aidèrent à rentrer chez eux à coups de fusil) abandonnant tout leur matériel sur le terrain, fusils, baïonnettes, équipements, grenades, etc. J'eusse été curieux de voir la tête que dut faire leur hauptmann (capitaine) en les voyant rentrer sans armes et déséquipés, je crois que la réception aura plutôt été froide...

En résumé, nous n'avions perdu ni un prisonnier ni un pouce de terrain, l'échec était complet pour les Allemands.

Vingt jours plus tard, le 22 juin, les Allemands furieux de leur échec, font une nouvelle préparation d'artillerie et se lancent de nouveau à l'attaque de la sape 19, tenue par la 8e Compagnie. Dès le début du bombardement, afin d'éviter les pertes inutiles, le capitaine Robo fait évacuer les têtes de sapes et fait rentrer ses hommes dans les abris en ayant soin de laisser un veilleur à chaque entrée pour donner l'alarme. Or, au moment où l'attaque allemande, plus heureuse que celle du 2 juin, aborde nos lignes du premier coup, il se trouve que le veilleur de l'abri le plus rapproché vient d'être tué par une torpille, et c'est alors que se produisit un fait d'une rare audace et tout à l'honneur de celui qui I'exécuta : surpris de ne trouver personne dans la sape 19 où il vient de pénétrer, l'officier allemand qui commandait le détachement, s'avança dans nos lignes jusqu'à l'entrée de l'abri sans veilleur puis, évitant de se faire voir, il cria dans l'escalier, d'une voix brève, et en bon français : “ Les gradés à moi ! ” Croyant avoir affaire à un officier français, l'aspirant Tizy qui commandait la section, les deux sergents et les quatre caporaux grimpèrent les marches quatre à quatre et... furent faits prisonniers à la sortie par l'officier allemand qui, revolver au poing les cueilla délicatement au fur et à mesure qu'ils sortaient et les emmena dans ses lignes en leur disant ironiquement : “ Par ici, Messieurs ! ” Avant de partir, il fit signe à ses hommes qu'il avait suffisamment de prisonniers et ceux-ci nettoyèrent l'abri à coups de grenades, tuant ou blessant une douzaine d'hommes. après quoi, ils rentrèrent chez eux tranquillement, l'opération n'avait pas duré trois minutes !

Cependant, le bruit des grenades avait donné l'alarme, la contre-attaque s'organisait et c'est à ce moment que le capitaine Robo, s'élançant en tête de ses hommes fut tué net par un obus de 77. Inutile de dire s'il fut regretté unanimement au régiment, particulièrement dans sa Compagnie où il était adoré de ses hommes. Ce fut notre dernière affaire dans le secteur de la Main de Massiges, secteur qui avait coûté cher au 115e de Noël à juin, nous avions en plus de 200 tués dont 142 enterrés à l'Index, et environ 1200 évacués tant blessés que malades, ce qui représentait l'effectif total en combattants du régiment.

Le 26 nous fûmes relevés du secteur, le 28, nous quittions Courtemont pour aller cantonner à Dampierre-le-Château où l'on nous gratifia enfin d'un repos de douze jours, et enfin le 10 juillet nous nous mettions en route pour aller, à notre tour, défendre la vieille cité lorraine sur laquelle s'acharnaient en vain des Allemands depuis près de cinq mois, nous allions à Verdun !!

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Chronique de guerre.Retour à l'Hôpital André Breton.Salut ambivalent.Retour en ville.





















































































Antoinette

“ Je rêve dans mes débuts de sommeil, je suis sur une plage, il fait bon, il fait chaud, être dans la nature. Les cauchemars, c’est dur. En guerre ?, contre la paresse, la méchanceté, je voudrais que tout le monde soit heureux main dans la main. ” (Hôpital André Breton )