Sujet, verbe, complément



Caroline

“ Je rêve à un monsieur qui marchait et il y a une dame qui marchait, partie au marché, et y a un monsieur qui a pris un sac à une dame, et puis après il y a les flics qui venaient, et après il était à la prison.””

C.A.T. de l'I.M.E.
















































































Poursuivre la lecture d'André Breton.

Retour à l'Hôpital André Breton.

Retour en ville.


Lettres d’Alain à Florence et Elie Halévy

Mobilisé et soucieux de ne pas profiter des avantages que son statut lui confère, le philosophe Emile Chartier dit Alain part au front. Il n’en demeure pas moins lucide sur cette boucherie carnassière dont il démonte les ressorts et les passions, notamment dans les nombreuses lettres qu’il écrit à Alain et Florence Halévy.

Alain à Florence Halévy

28 mai I9I6.

Mes chers amis, voilà le troisième jour je que je passe dans un lit d'hôpital, pour une “ grosse entorse “ comme dit le masseur. La roue du caisson m'ayant accroché et tordu le pied comme nous allions entrer à Vitrey près Vézelise, on m'a évacué ici ; et il faut bien compter 20 jours au moins avant que je puisse faire figure d'artilleur. C'est le même changement soudain que pour les blessés, avec cette différence que les vives souffrances m'ont été épargnées. L'entorse est grosse, mais sans fracture ni plaie. Et me voilà dans cette vie étrange où les repas sont les plus grands événements ; mon masseur est un personnage, et le major est Dieu ; c’est un bon Dieu. Si la roue avait poussé jusqu'à la fracture, j’aurais pu vous arriver ; mais je fais partie des éclopés ou petits blessés. Je ne sais plus où sont mes camarades ; les lettres ont cessé d'arriver pour un moment. J'ai lu un roman stupide, et aussi le Petit journal d'un bout à l'autre, chose qui ne m'était pas arrivée depuis bien longtemps. Me voilà donc inutile et paresseux. Mais je m'y résigne très bien, n'ayant pas choisi. Il y a toujours un plaisir vif quand on sort de la guerre, et c'est l'idée qui m'est venue au moment où ma jambe a été prise dans la roue. J'étais parti du poste derrière Flirey depuis quelques jours, et je commençais à sentir la peur. Je crois que la peur règne partout à la guerre ; mais à un certain degré elle rend insensible ; on ne la sent que lorsqu'elle diminue.

La violence de cette guerre, en un temps où l'on voulait dire que l'épuisement venait, n'étonne que ceux qui ne retiennent pas les énormes chiffres des effectifs, diminués des pertes. Il reste des troupes de quoi faire la guerre encore dix ans. La décision des armes se fera attendre toujours ; il n y a que la volonté de paix qui fera la paix. Mais je ne remarque aucune espèce de volonté chez les alliés ; égale impuissance pour faire et ne pas faire.

Grandes amitiés à vous deux. Et surtout ne me plaignez pas.

Je suis très bien.

Brig. E. CHARTIER.

Hopital Militaire, Tantonville (Meurthe-et-Moselle) .

... ( ... ) ...


A quoi rêvez-vous la nuit? Michel Mori.Retour en ville.


Michel Mori

Le Docteur Michel Mori, médecin-psychiatre. Il travaille dans cet hôpital depuis 1972. il a fait sienne cette assertion de des Maisons: « les hommes c'est comme les pommes: si on les entasse, ça pourrit. »



Le grand-père de Michel Mori était Carbonari dans les forêts toscanes. Il fabriquait du charbon de bois. Il vivait six mois sur douze dans une cahute de branches.


V

Paul Eluard, Marcel Noll et moi nous trouvons réunis à la campagne dans une pièce où trois objets sollicitent notre attention : un livre fermé et un livre ouvert, d'assez grandes dimensions, de l'épaisseur d'un atlas et inclinés sur une sorte de pupitre à musique, qui tient aussi d'un autel. Noll tourne les pages du livre ouvert sans parvenir à nous intéresser. En ce qui me concerne, je ne m'occupe que du troisième objet, un appareil métallique de construction très simple, que je vois pour la première fois et dont j'ignore l'usage, mais qui est extrêmement brillant. Je suis tenté de l'emporter mais, l'ayant pris en mains, je m'aperçois qu'il est étiqueté 9 fr. 90. Il disparaît d'ailleurs à ce moment et est remplacé par Philippe Soupault, en grand pardessus de voyage blanc, chapeau blanc, souliers blancs, etc. Soupault est pressé de nous quitter, il s’excuse aimablement et j'essaie en vain de le retenir. Nous le regardons par la fenêtre s'éloigner en compagnie de sa femme, que nous ne voyons que de dos et qui est comme lui toute habillée de blanc. Sans chercher à savoir ce que Noll est devenu, Eluard et moi, nous quittons alors la maison. Eluard me demandant de l’accompagner à la chasse. Il emporte un arc et des flèches. Nous arrivons au bord d'un étang couvert de faisanes. “ A la bonne heure ”, dis-je à Eluard. Mais lui : “ Cher ami, ne crois pas que je sois venu ici pour ces faisanes. Je cherche tout autre chose, je cherche François. Tu vas voir François. ” Alors toutes les faisanes d'appeler : “ François, François, François ! ”Et je distingue au milieu de l'étang, un superbe faisan doré. Eluard décoche dans sa direction plusieurs flèches mais - ici l'idée de la maladresse prend en quelque sorte possession du rêve qu’elle n’abandonnera plus - les flèches portent “ trop court ”. Pourtant le faisan doré finit par être atteint. A la place de ses ailes se fixent alors deux petites boîtes rectangulaires de papier rose qui flottent un instant sur l'eau après que l’oiseau a disparu. Nous ne bougeons plus jusqu'à ce qu’une femme nue, très belle, s'élève lentement de l’eau, le plus loin possible de nous. Nous la voyons à mi-corps puis à mi-jambes. Elle chante. A ma grande émotion, Eluard lance vers elle plusieurs traits qui ne l'atteignent pas mais voici que la femme, qu'une seconde nous avions perdue de vue, émerge de l'eau tout près de nous. Une nouvelle flèche vient lui transpercer le sein. Elle y porte la main d'un geste adorable et se reprend à chanter. Sa voix s'affaiblit lentement. Je n'ai pas plus tôt cessé de l'entendre qu’Eluard et elle ne sont plus là. Je me trouve en présence de petits hommes mesurant environ lm.10, et habillés de jersey bleu. Ils arrivent de tous les points de l’étang et, comme je les observe sans défiance l’un d'eux, ayant l'air d'accomplir un rite, s'apprêta à m'enfoncer dans le mollet une très petite flèche à deux pointes. Il me semble qu'on veut m'unir dans la mort au faisan doré et à la belle chanteuse. Je me débats et j'envoie à terre plusieurs des petits hommes bleus. Mais le petit sacrificateur me poursuit et je finis par tomber dans un buisson où, avec l'aide d'un des autres poursuivants, il cherche à me ligoter. Il me semble facile de terrasser mes deux adversaires et de les ligoter à ma place mais la maladresse ne me permet que de leur prendre la corde et d'en faire autour de leur corps un noeud extrêmement lâche. Je m'enfuis ensuite le long d'une voie de chemin de fer, et, comme on ne me poursuit plus, je modère peu à peu mon allure. Je passe à proximité d'une charmante usine que traverse un fil télégraphique dirigé perpendiculairement à la voie et situé à cinq ou six mètres du sol. Un homme de ma taille tend à deux reprises, très énergiquement, le bras, vers le fil sur lequel, sans aucun mouvement de lancement, il réussit à placer en équilibre, à égale distance de l'usine et des rails, deux verres vides du type gobelet. “ C'est, dit-il, pour les oiseaux. ” Je repars, avec l'idée de gagner la gare encore lointaine d'où je puisse prendre le train pour Paris. J'arrive enfin sur le quai d'une ville qui est un peu Nantes et n'est pas tout à fait Versailles, mais où je ne suis plus du tout dépaysé. Je sais qu'il me faut tourner à droite et longer le fleuve assez longtemps. J'observe, au-dessus du très beau pont qui se trouve à ma gauche, les évolutions inquiétantes d'un avion, d'abord très élevé, qui boucle la boucle avec peine et inélégance. Il perd constamment de sa hauteur et n'est plus guère qu'au niveau des tourelles des maisons. C'est d'ailleurs ,moins un avion qu'un gros wagon noir. Il faut que le pilote soit fou pour renouveler sa prouesse si bas. Je m'attends à le voir à s'écraser sur le pont. Mais l'appareil s’abîme dans le fleuve et il en sort sain et sauf un des petits hommes bleus de tout à l'heure qui gagne la berge à la nage, passe près de moi sans paraître me remarquer et s’éloigne dans le sens opposé au mien.

André Breton in Clair de Terre.