"A l'autre extrémité de l'archet, le marché aux poissons déroule ses fastes aux lueurs sidérales du diodon, du coffre et de toute la gamme, du jaune soufre au violet évêque par les plus hardies zébrures, les plus savants mouchetages, les plus capricieux glaçages, de vrais poissons-paradis ardents comme des gemmes. Ce qui confère à cette pauvre lucarne en plein ciel son trouble caractère, c'est aussi que viennent mourir à elle quelques étincelles du luxe et du feu des grandes profondeurs. sous l'étal miroitant à l'infini, dans l'ombre s'amoncellent, gorgées de roses rouges et roses, les conques vides dans lesquelles fut sonnée la révolte noire très sanglante de 1848." Extrait Martinique, charmeuse de serpents (1948, Jean-Jacques Pauvert 1972).
Sujet, verbe, complément. |
...(...)... 22 heures - Après un dîner reconstituant servi dans l'ancien réfectoire de l'asile, bariolé de dessins magnifiques d'un patient, le poème Sujet, celui qui scelle la légende et notre venue, est simultanément lu par André Wilms, mis en musique et en images, soit une voix, un film et une formation de trois musiciens. Ils accompagnent la diction saccadée, rauque et martelée de Sujet pour rendre aux creux et paroxysmes des mots la charge des détonations et les salves qui scandent sa lecture : qu'elles éclatent aux cieux de notre histoire, et retentissent, gonflées, bombées et atomisées, dans les limbes de nos ouïes.
Une rare violence sourd de ces associations d'images, de voix et de sons, le poème, plusieurs fois répété revient comme une obsession se frayant la voie de nos consciences, les arcanes et ces longs segments lâchés dans une même envolée - Jaurès, son spectre et son assassin ; la dévotion scientifique et patriotique d'un enfant terrible de la nation ; la représentation grandiose d'une boucherie sans limite, l'aristocratisme d'une langue qui ne se livre pas - la succession agencée de rêves, d'actions et de délires, le souffle court, tissant les sursauts et relais de l'écrit, plus rien ne se tient figé, l'ossature et ses ligaments, articulations et cartillages rompent, les failles apparaissent et rendent à ce magma liquéfié la virulence de sa genèse orgiaque : s'animent et dansent et fusent les éléments d'un récit hermétique, clos, replié sur ses sinuosités, aux enjeux et éclats invisibles, si ce n'est inexistants,
une liqueur chaude gagne ces corps asséchés, elixir ravivant des postures fossilisées et s'agitent les possibilités dynamiques de contagion, d'agrégation et de conduction qui libèrent le texte,
les questions de la folie, de l'écoute, du nationalisme, la distanciation souveraine par les lois du désir, de l'évanescence et de l'irréalisme comme épreuve décisive, l'épreuve du délire, la confusion volontaire et accentuée du rêve et du réel, les identités protéiformes d'un je retranché, du croisement et de la confusion des instances narratrices, les régimes du cri, les sinuosités des postures et leur confusion organique prennent forme et éclat pour nous qui avons éprouvé le corps de chaque matériau, le poème n'est que lambeaux, chaque efflorescence nous est déjà passé dessus, aussi nous circulons parmi les grésillements et les crépitements avec la célérité agile de l'anguille et vibrons de tant de brasiers orchestrés d'une main de maître, un soldat mène ses troupes à l'assaut, Breton dirige savamment ses incises contre son temps, pris dans ses retranchements,
les couloirs ne mènent qu'à d'autres souricières, où se débattent ivres morts une poignée de victimes, les détonations pleuvent, les terrains s'effondrent, les obus explosent, que vaut une guerre ? que vaut une vie ?
à chaque tremblement défilent les armées souterraines, le front, ne penser qu'à tenir, les galeries souterraines gorgées d'eau, jonchées de cadavres, une faible lanterne pour toute lumière, l'ennemi aux aguets, peut-être déjà là, derrière, devant, à côté, comment savoir?
sortir du bourbier mais avec les honneurs, tant de camarades claqués pour l'honneur de la patrie, l'exhiber ce geste héroïque et ces décorations d'Etat, tenir bon, vaincre le Boche, percer le front, où/qui sont-ils?
quelle guerre ? Quels motifs déjà ? Quelle nécessité ? Seul le nécessaire emporte le réel, vaste fumisterie que cette engeance, la guerre est au bord de vos désirs, pas moins que toute chose, j'en actionne les stratégies et les déploiements de soldats à mon gré, Feu, feu, lâchez tout, je serai votre éclaireur, artificiers, et vous indiquerai sur place les cibles à atteindre, suivez mon avancée et envoyez vos meilleures pièces, il est à nous
la guerre, songe, lie, folie, abrutissement de bête de somme, carnage, ses soutiens, nationalisme, rationalisme, fanges d'un monde aveuglé....
Sortis des tranchées, air frais et lumière du jour.
Saint-Dizier, 25 Janvier 2001
Nicolas Bersihand |
Pendant ses permissions, André Breton rend visite à Apollinaire.
André Breton est arrivé à Saint-Dizier en juillet 1916. il est médecin auxiliaire en psychiatrie.
Alain « Je rêve de mon chien, de mon père mort le 1er mai, il y a pas longtemps, je pense à beaucoup de choses, à mon père, à mon chien, je pense que j'aime bien faire du vélo, un coup j'avais rêvé quand il passe des avions, un avion qu'était tombé, et puis il y avait des pompiers, une fois j'avais rêvé de mon chien qui s'était fait écraser. » C.A.T. De l'I.M.E.
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