De Zagreb jusqu'en Hollande.

J’étais élève de l’Ecole Ampère (SUDRIA) à Paris sans avoir de bourse. J’ai interrompu mes études pour travailler. Un an après je me suis inscrit à l’Ecole supérieure d’électronique et d’automatisme avec une bourse de 250 F insuffisante pour payer le loyer à la Cité universitaire et le transport jusqu’à l’école sur la petite île de Notre-Dame de Paris.

Alors j’ai accepté une bourse de la Yougoslavie de Tito comme enfant du Tiers-Monde.

En 1961, j’apprends la langue yougoslave à Belgrade.

En 1962, première année à la faculté de sciences à Sarajevo. J’avais seulement vingt ans. Mes connaissances acquises en France m’ont permis d’être largement supérieur aux autres. Il y avait une jalousie, peut-être. Ou j’étais rentré dans l’engrenage religieux à cause de mon prénom. Monsieur Zinovitch, une haute personnalité du Parti communiste à cause de son père, maquisard en 1943, a été placé comme enseignant. Il m’a fait échouer pendant trois ans sur le même examen, à l’oral. Pour moi c’était à cause de ma révolte contre l’injustice. Pour les autres, tous disent que c’est la jalousie envers un étranger. Si j’avais été Yougoslave, il m’aurait félicité.

J’étais protégé par la majorité du personnel de la faculté, et surtout par les Juifs mais ils ne pouvaient rien faire.

J’ai perdu ma bourse en 1970. J’ai obtenu une attestation de quatre années d’études en physique sans diplôme. Je ne peux rien faire dans la vie avec ça.

Je suis allé à l’Ambassade d’Algérie, je me suis fait disputer. Parti d’Algérie à l’âge de 10 ans pour venir en France, j’ai obtenu le passeport algérien seulement pour avoir la bourse de Tito.

Je suis allé à l’Ambassade de France, mais ma carte d’identité française n’est plus valable depuis 1964.


Mes amis ont commencé à se détourner de moi parce que je n’ai pas d’argent. Je deviens enragé contre le monde plutôt que déçu. Je dois continuer la science le plus haut possible. Il me restait seulement trois amis qui m’ont prêté un peu d’argent pour m’inscrire à la faculté de Pristina, au Kosovo, en 1971, avec beaucoup de courage.

J’ai considéré toujours que le peuple serbe est adorable, mais il y a quelques fascistes au pouvoir, comme une belle pomme qui contient des vers, comme le reste du monde.

Je reste sans avoir un pays, un ami, le droit nulle part, à la moindre de mes faiblesses les gens me montrent les dents comme des sauvages. J’étais dégoûté de tout le monde et de tous les pays. Je ne demanderai aucune aide.


Je connaissais un ami en Hollande qui était devenu chef du personnel dans une usine.

J’avais 400 dinars. Je peux aller jusqu’à Zagreb avec ça. Je suis passé à Sarajevo chez mes amis Radé (serbe, sa femme croate), et chez Omar (musulman). Ils m’ont donné 50 marks pour mon chemin vers la Hollande.

Je suis arrivé à Zagreb par le train.

J’ai marché 10 kilomètres à pied. J’ai juré de ne pas faire de l’auto-stop, seulement des voitures s’arrêtent. Je suis arrivé à Ljubjana. J’ai acheté plusieurs pains et des sardines et j’ai pris le train jusqu’à Lausanne pour éviter les frontières à pied. A Lausanne j’ai changé 10 marks. J’ai pensé aller à Grenoble parce que j’ai été là-bas à l’âge de 13 ans. J’aimerais trouver un travail. J’ai fait le chemin Lausanne-Grenoble à pied sans faire de l’auto-stop, seulement 15 km en auto. J’ai perdu l’espoir de trouver du travail.

Je prends la route de Paris toujours à pied sans regarder les voitures. Je dors sous les arbres à peu près 500 mètres à 1 km avant d’arriver dans une ville. Je me mets sur la route de 4 h 30 à 11 h 30, de 12 h jusqu’à 23 h. Je chante des chansons russes pour marcher plus vite. J’ai toujours 10 marks. Après dix jours j’étais fatigué. Quand je voyais une voiture derrière moi je marchais droit et la tête haute. Comme nourriture, avec l’eau seule je marchais seulement une demi-heure; avec une baguette de pain je marchais jusqu’à 50 km; avec une baguette et une sardine, mon programme de marche est respecté.

Souvent j’étais aidé sur la route par des gens de l’église ou par des paysans d’un village ou par des groupes de jeunes. On me disait : “Vous ressemblez à quelqu’un qui s’est sauvé de prison, c’est pour ça que personne ne vous prendra sur la route, vous êtes très fatigué, et encore avec un gros sac sur le dos”. Ils me disent : “Les hommes sont méchants mais pas tous”. Je réponds seulement “Oui”.

Le plus dur sur mon chemin c’est le soir. Il fait nuit et parfois il pleut. Sur la route les voitures ont une grande vitesse et de grandes lumières, je ne vois plus la route.

Je suis soulagé quand je sors de la forêt et je vois les lumières des villages.

J’ai commencé à aimer les gens petit à petit. Les gens sont mauvais seulement quand la raison leur échappe. Mais moi je trouverai des gens qui comprendront ma révolte de faire ce chemin sans demander d’aide.

Un homme d’une trentaine d’années vers 7 heures du soir s’est arrêté pour me prendre. Il m’a emmené au restaurant avec lui. Il avait une grande culture et m’a donné du courage pour finir mes études après avoir souffert avec les mauvaises gens.

Je suis arrivé à Paris après quinze jours, j’étais heureux. Je suis resté douze jours, pas de travail. Je continue vers la Belgique. Je remarque que les gens ne m’aiment pas du tout. Ça m’a encouragé sur mon chemin. J’ai marché seulement 20 km sur le territoire belge. J’ai lavé dans une rivière mes pieds du sang et des blessures, ma chemise. J’ai changé les 10 marks qui me restaient et j’ai pris le train jusqu’à Etten-Leure (Breda).

Je suis arrivé chez mon ami.

J’ai commencé à travailler.


Dix années de suite, chaque année, je suis venu travailler et chercher de l’argent en Hollande, et j’étudie en Yougoslavie.

En 1980, je suis diplômé professeur de physique générale.

En 1984, diplôme d’ingénieur d’état en métallurgie (uranium).


Je me souviens des conseils du jeune homme entre Lyon et Dijon. Il m’a dit : “Ce sont les conséquences de la science”. Il m’a dit : “Pense à Einstein, Keppler, comment ils ont vécu”.

Je pense que lui aussi était physicien.

Mais je ne peux pas tout raconter. Il me faudrait une centaine de pages.

Ne prenez pas ça pour un malheur, mais pour un succès.

Mohamed Nouidjem













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