Le père d'Angélique

De ce que m'ont raconté mes frères et soeurs, mon père était violent, il frappait sur toute ma famille, je me souviens qu'il frappait l'avant dernier et le punissait dans sa chambre sans manger. Je suis la seule qu'il n'a pas tapée car toute la famille lui disait que s'il le faisait, tout le monde lui retomberait dessus, mais je n'ai pas beaucoup de souvenirs de ça.

Avant d'habiter à Joinville avec mon frère, et avant Saint-Dizier, j'étais à Cousance-les-Forges en Meuse avec mes frères et soeurs, mon père avant ma naissance déménageait souvent avec toute la famille, mais je sais que quand il était petit il habitait dans le département de l'Aube, mais je ne sais plus quelle ville.

Je me souviens qu'il me donnait souvent des sucreries, et ça ne plaisait pas tellement à ma mère.

Il travaillait dans une usine de Cousance, celle où on fabrique des casseroles en fonte, je ne me rappelle plus du nom de l'entreprise.

Chaque Noël quand j'étais petite, l'usine de mon père offrait des jouets aux enfants des employés et une fois il y avait le père Noël, à ce moment-là j'ai découvert que le père Noël n'était qu'un attrape-nigaud pour les petits, car il avait une fausse barbe blanche au moment où il s'est penché.

Une fois mon père m'a emmené dans une fête foraine, il m'a acheté un clown qui fait de la musique. Un matin, ma chambre était à côté de celle de mes parents, et je l'ai fait fonctionner, et j'ai fait sursauter mes parents quand ils dormaient, et mon père s'est mis à hurler tout ce qu'il savait, et moi j'étais pliée de rire sur mon lit, j'avais à peu près 7 ou 8 ans à ce moment-là.

Une fois quand j'avais 8 ans, j'avais attrapé la varicelle et je ne devais pas sortir de ma chambre, mon père m'avait promis un petit chien, donc un jour, au moment où le médecin m'examinait, mon père entre dans la chambre, il avait sur lui son grand manteau, il ne l'avait pas fermé en entier, j'ai vu une petite boule de poils toute noire sortir de son manteau, j'étais tellement contente que je voulais aller dehors pour crier ma joie, mais vu que le médecin était là, il m'a interdit de sortir de ma chambre, je me suis dit puisque c'est comme ça, j'ouvre la fenêtre et je crie un bon coup "J'ai un chien, youpi !".

Mais je lui en veux pour un truc, au moment où ma mère était sur son lit de mort à l'hôpital de Saint-Dizier, elle nous a réclamés mes frères et soeurs et moi, elle lui demandait de nous appeler, mais il n'a rien fait, et elle n'a pas pu nous dire au revoir et elle est morte le 22 octobre 1992.

Quand il punissait l'avant dernier dans sa chambre sans manger, moi j'ai trouvé une astuce pour lui ramener à manger, je disais à mon père que j'avais encore faim, du coup il me redonnait encore une assiette, et je lui disais que j'allais regarder la télévision dans la chambre juste à côté de celui qui était puni, et je lui donnais cette assiette sans que mon père le sache, je le disais à ma mère qui approuvait ce que je faisais.


Le père de Stéphane.Retour en ville.Des fois c'est plus insupportable.


Revenir à l'exposition.

Le père de Coralie.

Retour en ville.

Groupe d'écriture de la mission locale pour l'emploi des jeunes.

On s'était dit que c'était cette question : le silence entre les jeunes et leur père. Que c'était cette inquiétude : la disparition des pères. Et qu'il fallait donc, avec ces "jeunes", essayer de dire. Trouver les mots.

On a donc essayé.

Au lycée.

Blaise Pascal.

Saint-Exupéry.

Mais malgré quelques complicités ce fut sans lendemain - on ne travaille pas dans de telles structures sans y être invité de la manière la plus officielle, sans qu'il y ait relais, attente des adultes, et qu'il y ait organisation du temps. Ce ne fut pas le cas.

On se souvenait qu'ailleurs (à Chaumont) avec la Mission locale le travail avait été extrêmement fertile. Et déjà on avait essayé, ici, de nouer contact, mettre en route.

Cette fois ce fut possible, de lancer quelque chose au moins.

Parce qu'on sait bien qu'avec des jeunes déjà en difficulté de travail - et en difficulté de langue, ça va souvent ensemble - le simple volontariat n'est pas suffisant. Trop de raisons de se dire qu’écrire ce n'est pas pour soi. Qu'on ne saura pas. Il vaut mieux, on l'a déjà pratiqué, une démarche au départ imposée dans laquelle, finalement, chacun découvre ses capacités.

Ce ne fut pas possible.

Et ce ne fut jamais un groupe.

Quelques uns - venus aussi de Joinville, de Perthes. Mais se perdant puisqu'il n'y avait pas de véritable lieu ou se retrouver.

De cette tentative, ils sont cinq, malgré tout, à avoir écrit. Même si pour deux ce ne fut que passage.

Et là encore, ce fut le jeu des mots à remplir le sac.

adorable - affection - agriculture - animaux - anniversaire - argent - armée - bagarreur - bar - barbe - buveur - cadeaux - câlins - campagne - champs - chapeau - chasse - chèque - chef - colère - défendre - dormeur - éducation - enfants - famille - fêtes - fumeur - gants - garage - gentil - gestion - grenier - honnête - hôpital - jardin - joueur - loisirs - loto - loyal - mobylette - mousse - nature - Noël - oeuf en chocolat - ordinateur - outils - pantalon - Pâques -

passionné - pastis - pêche - pétanque - poisson d'avril - protection - râleur - rancunier - rasoir - réparation - respect - restaurant - routier - s'amuser - santé - sapin - secrets - sévère - sincère - sorties - tabac - tendresse - uniforme - usine - vacances - voiture - voleur

Tout ça, père ?

Michel Seonnet.