Portraits d’usine



Dans le livre rouge d’Esquirol, un livre d’école de 1957, une des leçons du chapitre 16 (“ Les ouvriers ”) présente à travers des textes littéraires, des exercices de grammaire et des listes de vocabulaire, les lieux où travaillent les ouvriers : la grande usine, la mine, les chantiers navals… L’Entre-Tenir reprend cette “ leçon de choses ”, la réactualise à partir du monde contemporain et d’une région spécifique, “ le Pays Bragard ” (région de Saint-Dizier). Entre mi-février et fin mars, deux réalisateurs, Joachim Gatti et Jean-Baptiste Leroux, vont introduire leur caméra dans 10 usines de la région pour en tirer des courts-métrages, des sortes de “ croquis vidéos ”, quelque chose de très spontané qui permette de saisir sur le vif le mouvement des machines, la gestuelle des ouvriers, le métabolisme de l’usine, les circulations et échanges qui l’irriguent et la relient au monde extérieur.

Fonderie, tréfilerie, laminoir, aciérie, construction mécanique, chaudronnerie, L’Entre-Tenir resserre l’ “ objectif ” sur les usines ayant un rapport direct avec l’art et le travail du métal, une tradition séculaire dans la région. En Haute-Marne, les premières forges hydrauliques (qui utilisent la force motrice de l’eau), les “ moulins de fer ”, apparaissent en effet dès le 12ème siècle ; elles sont l’œuvre des moines cisterciens. A Saint-Dizier, en amont de la Marne, les premiers hauts-fourneaux (forges) surgissent de terre à la fin du 16ème siècle. En 1850, la Cité Bragarde est devenue une véritable “ Ville de fer ” où sont fixés, pour toute la France, les cours des métaux.

Pourquoi des “ Portraits d’usines ” ? Parce que l’usine (et les lieux de production en général) est la scène par excellence où se produit, se manifeste, s’active l’ouvrier. Depuis 1936, depuis l’entrée dans l’Histoire des “ métallos ”, le sens du mot ouvrier est devenu indissociable de la grande industrie (cf. Les ouvriers dans la société française, Gérard Noiriel, éd. Points Histoire). L’usine est le premier “ espace d’apparition ” de l’ouvrier, c’est d’abord dans ce lieu qu’il se définit, à travers son “ travail ” : un savoir-faire, des pratiques, des échanges, des conflits, toute une série d’éléments qui vont contribuer à façonner une expérience singulière du monde, propre à lui seul.

Dresser le portrait d’usines en “ activité ”, c’est aussi se donner un point de référence actuel, assurer au projet “ Ouvrier ” un ancrage dans le monde contemporain et ses mutations. Ces portraits vidéos trouvent donc leur raison d’être dans la démarche même de L’Entre-Tenir : nous n’explorons l’histoire de Saint-Dizier qu’en fonction de l’avenir et à partir du présent. C’est ainsi que les “ croquis vidéos ” de Joachim et Jean-Baptiste viendront compléter textes littéraires et théoriques, archives et documents du passé, pour servir de matière aux différents ateliers (sérigraphie, écriture, radio, musique…) proposés aux habitants. Elaborer un projet culturel autour du nom “ Ouvrier ” ne veut pas dire sombrer dans la célébration funèbre de la mémoire ouvrière : l’industrie ne se conjugue pas qu’au passé. A Saint-Dizier, c’est une réalité concrète, palpable, bien vivante, faite du labeur des hommes et de l’accouplement des machines. D’Est en Ouest, l’implantation des usines épouse le tracé irrégulier de la Marne et participe avec les voyottes (rues étroites, parallèles, bordées de maisons ouvrières), les potagers ouvriers, les quartiers des anciennes forges (Le Clos Mortier, Marnaval)…, à la configuration d’un “ paysage ouvrier ”.

Des projections publiques des “ Portraits d’usine ” seront organisées en octobre, à l’occasion d’un festival de films ouvriers, et durant les deux premières semaines de décembre, lors d’expositions mises en scène dans différents espace urbains.






1. Les fonderies de Saint-Dizier.

2. L'usine de Générale Hydraulique Mécanique.

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