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Les villes tentaculaires d'Emile Verhaeren Ici, sous de grands toits où scintille le verre, La vapeur se condense en force prisonnière; Des mâchoires d'acier mordent et fument; De grands marteaux monumentaux Broient des blocs d'or sur des enclumes, Et, dans un coin, s'illuminent les fontes En brasiers tors et effrénés qu'on dompte. Là-bas, les doigts méticuleux des métiers prestes, A bruits menus, à petits gestes, Tissent des draps, avec des fils qui vibrent Légers et fins comme des fibres. Des bandes de cuir transversales, Courent de l'un à l'autre bout des salles, Et les volants larges et violents Tournent, pareils aux ailes dans le vent Des moulins fous, sous les rafales. Et tout autour, ainsi qu'une ceinture, Là-bas, de nocturnes architectures, Voici les docks, les ports, les ponts, les phares, Et les gares, folles de tintamarres; Et plus lointains encor des toits d'autres usines Et des cuves et des forges et des cuisines Formidables de naphte et de résines, Dont les meutes de feu et de lueurs grandies Mordent parfois le ciel, à coups d'abois et d'inceni Au long du vieux canal à l'infini Par à travers l'immensité de la misère Des chemins noirs et des routes de pierre, Les nuits, les jours, toujours Ronflent les continus battements sourds Dans les faubourgs Des fabriques et des usines symétriques. E. Verhaeren. Les Villes tentaculaires. |