Une grande usine, un texte de G. Navel.

C'est avec effroi que j'entrai pour la première fois dans le hall" de l'usine de Saint-Ouen. Je me disais : « Mon vieux, tu vas souffrir. Est-ce que tu pourras tenir dans ce vacarme?»

Je voyais les autres, d'abord les traceurs, dont le travail exige calme, concentration. Debout devant de vastes marbres, ils poussaient le trusquin, un trait, s'arrêtaient pour lire sur de grandes feuilles bleues les dessins, une nouvelle cote à reporter. Je voyais ça dans le bruit comme un tour de force, en m'étonnant aussi qu'un hall si bruyant, si agité, puisse être un atelier d'outillage.

Comment faisaient-ils les fraiseurs, les tourneurs, les rectifieurs, pour ne pas perdre le nord ? Les autres devaient être bâtis d'une manière spéciale nécessaire à l'industrie. J'essaierai d'être fait comme eux.

Tout l'espace, du sol à la toiture du hall, était haché, occupé, sillonné par le mouvement des machines. Des ponts roulants couraient au-dessus des établis. Au sol, dans d'étroites travées", des chariots électriques se gênaient pour circuler. Il n'y avait plus de place pour la fumée.

Des presses colossales, dans le fond du hall, découpaient des longerons", des capots", des ailes", avec un bruit pareil à des explosions. Entre-temps, la mitraillade des marteaux-revolvers de la chaudronnerie reprenait le dessus sur le vacarme des machines....

Je me répétais : « Mon pauvre vieux, est-ce que tu pourras vivre là, est-ce que tu seras aussi fort que les autres ? » serrant sous mon bras mon paquet d'outils personnels, joint à un casse-croûte dans un journal. Ce pain qui sentait le fer me semblait bien dur à gagner.

Les équipes d'ajusteurs-outilleurs travaillaient au montage des matrices à emboutir et à découper, nécessaires aux grosses presses. Dans le travail, les équipes devenaient rivales : les compagnons se disputaient l'aide des ponts roulants, l'usage des petites meules pneumatiques plus dévorantes de métal que les plus grosses limes.

On parvenait à une vitesse de gestes étonnante. Ouvrir un tiroir, l'explorer, en retirer un outil, repousser un tiroir, ne prenait qu'un instant. On était déjà occupé à une perceuse. On agissait comme dans les films fous, où les images se suivent à une vitesse choquante...

Plus encore que l’insistance des chefs, c’est l’énorme tam-tam des machines qui accélérait nos gestes, tendait notre volonté d’être rapides. Le cœur essayait de s’accorder à la vitesse des claquements de courroies. Dehors l’usine me suivait. Elle m’était rentrée dedans. Dans mes rêves, j’étais machine. Toute la terre n’était qu’une immense usine. Je tournais avec l’engrenage.




...(...)...


...(...)...



Des mots… aux faits et idées

Hall: grande salle très haute de plafond.

Traceurs, fraiseurs, tourneurs, rectifieurs...: ouvriers spécialisés.

Pont-roulant: sorte de grue pouvant soulever et déplacer en tous

sens de lourdes charges

Travée: passage entre les établis.

Longerons, capot, ailes: pièces maîtresses de la carrosserie automobile.

Marteau-revolver: marteau automatique.

Matrices: moules produisant par la seule action d'une presse des objets finis.

Tam-tam: grand bruit inlassablement répété à cadence régulière et rapide.


Pourquoi l'ouvrier n'est-il pas sûr de tenir dans ce vacarme et pourquoi les autres

l'étonnent-ils ?

Comment l'animation du hall nous est-elle décrite ?

Quels sont les bruits divers qui se mêlent dans l'usine?

Pourquoi le nouvel ouvrier dit-il que le pain sent le fer et pourquoi le trouve-t-il dur à gagner ?

Qu'est-ce qui accélère les gestes des ouvriers et les fait agir comme dans les films fous?

Pourquoi l'ouvrier peut-il dire que l'usine le suivait, qu'elle lui était rentrée dedans ?

Montrez que, dans l’extrait de texte «Une grande usine», il s'agit d'une « agitation » ordonnée, réglée. Comparez l'existence, la cadence de travail d'un artisan et celles d'un ouvrier d'usine. Qu'en pensez-vous ? Quel genre de travail préférez-vous ? Pourquoi?

Retour à la dictée.

Retour au site « Ouvrier »