CHRONIQUE N°9 - LA VILLE AU BOUT DES RAILS (par Michel Seonnet). |
Mais de lautre côté ? Dans cette partie de lancienne voie ferrée qui relie la ville à lautre-ville ? Après avoir longé un moment les voies toujours en service, jai marché jusquà un panneau indiquant Heurtoir 250 m. Un peu avant que les rails abandonnés ne passent sous le pont de la Nationale 4. A regarder par terre - la rouille sur les rails, les fissures des traverses comme du bois flotté, les tentatives des ronces - tout était identique à ce que javais déjà vu de lautre côté. Mais à lever les yeux ? Le pont de la Nationale 4 faisait comme une sorte de porte. Et jai eu limpression que cétait la porte de lautre-ville. Ou comme le début dun livre. Un livre qui aurait pu sintituler La ville au bout des rails. Et qui aurait commencé ainsi.
Cela faisait longtemps quil ny avait plus de trains qui venaient jusque là. On en avait pris lhabitude. Personne ne savait plus à quel moment ça sétait arrêté. Ni pourquoi. Ni comment. On avait oublié où allaient les trains qui autrefois passaient par là. Allaient-ils vraiment quelque part ? Ou bien sarrêtaient-ils là, au bout des rails qui sarrêtaient dans lherbe ? Certains croyaient se souvenir dun homme qui au tout début, les premiers temps où il ny avait plus de train, avait attendu là pendant des jours, refusant lévidence, envoyant promener tous ceux qui essayaient de le persuader - sa femme, ses enfants - les renvoyant avec des arguments dune imparable logique : les rails cest fait pour les trains, sil y a des rails cest quil y a des trains. Dautres encore prétendaient connaître, et pouvoir présenter à qui le souhaitait, la dernière personne qui avait utilisé le train. On disait quelle venait de quelque grande capitale, mais on narrivait plus à se mettre daccord sur laquelle. Avec le temps, il y avait en fait de moins en moins de personnes pour croire à ces récits. Des légendes disait-on. Tant paraissait énorme labsurdité dune telle situation. On disait que cétait rapport aux usines qui avaient fermé. On disait que cétait rapport à la guerre - cétait une ligne pour amener les convois au front. Comme il ny avait plus de guerre il ny avait plus de convois. On disait - et cétait lexplication qui ralliait le plus de suffrages - que la ligne avait servi à la construction de la ville, à apporter les matériaux, les ouvriers, les habitants. Quand il y avait eu tout ce quil faut pour faire une ville, on navait plus eu besoin de la ligne. On lavait fermée comme on retire une échelle. Certains disaient que cétait parce quon avait eu peur que les gens quon avait fait venir repartent aussitôt. Depuis, la voie ferrée ne servait plus que comme une sorte de chemin mal commode. Mais ce nétait jamais pour aller très loin. Parfois on voyait arriver un inconnu, un sac sur lépaule, ou une mallette à la main... |
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