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CHRONIQUE N°11 - PÊCHE MIRACULEUSE. (par Michel Seonnet) Ecrire, cest toujours essayer de sapprocher des questions où la vie et la mort livrent combat sans fin. Quest-ce qui résiste ? Quest-ce qui fait face ? Quest-ce qui tient dans la tourmente, ou simplement dans ce sentiment commun que tout sen va, tout se perd, tout est égal puisque tout va mourir ? Quest-ce qui retient encore quand lavenir ne semble plus être devant, que quelque chose sest brisé laissant chacun en plan - là, en plein milieu du monde, de cette vie, de cette ville ? Ecrire, cest essayer de sapprocher des lieux, des objets, des odeurs aussi, où prennent formes ces questions. Ainsi le premier travail fait avec les femmes de lAHMI - toutes venues dailleurs. Quavaient-elles laissé quelles naient pu emporter ? Quavaient-elles emmené avec elles ? Quavaient-elles trouvé ici quelles navaient pas en arrivant ? Elles écrivent. Et le chalut des mots ramène pèle-mêle une robe bleue et une robe rose avec le haut en broderies noires sur la poitrine, des dentelles que lon fait à la main pour mettre des bonbons dedans comme dans un plat, une paire de talons aiguilles en velours noir, un savon donné avant de partir sils avaient besoin de se laver pendant le voyage, une robe noire avec des paillettes faite à la main. Mais il y eut aussi : une amie, une voisine, un chat tigré, des instruments de musique. Comme une pêche miraculeuse. On jette les filets. Après, avec ce que lon a trouvé, on tente de reconstruire quelque chose de la ville et de la vie. Comme un portrait de soi-même et du monde. On passe sans transition de la pêche miraculeuse à la multiplication des poissons. Parfois viennent des choses graves - Jai laissé la moitié de mon cur, mon fils le plus âgé que jai aimé plus que toute la terre, il avait quinze ans, il a été tué et maintenant jignore où se trouve sa tombe. Parfois viennent des choses plus légères - Jai emmené un cageot de dattes pour la voisine. Jai demandé à mon frère : Tu ramènes avec toi des dattes de Biskra. Les dattes de Biskra sont sucrées, elles coulent tellement elles sont mielleuses, elles sont en grappes. Mon frère a ramené une grappe de cinq kilos. Je les ai mises dans le frigo pendant deux jours avant de partir en France. Je les ai portées à la main jusquà lavion. Dans lavion je les ai mises dans le casier à bagages. Je les ai données à mon amie. Jen ai gardé un peu pour moi. On se dit quà ramener ainsi, jour après jour, ces étincelles de vies on finirait par connaître la vérité du monde. Par pouvoir la communiquer. Et ceux-là mêmes qui souvent sans en avoir conscience en sont les détenteurs sauraient quils sont à la tête de véritables trésors. Lutopie que porte en lui un projet décriture avec les autres, cest de penser que chaque homme, chaque femme, chaque enfant, possède de pareilles richesses. Nous mourons de ne pas savoir les reconnaître. Nous mourons de ne pas savoir en partager léclat. Ecrire, cest aller contre ce mourir-là. |
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