CHRONIQUE N°12 - CELUI QUI N'A PAS VOULU RESTER (par Michel Seonnet)


Rien de plus silencieux que quelqu’un qui s’en va, tout seul, au bout de sa solitude. Rien de plus discret. Pourtant, lorsque je suis arrivé à Saint-Dizier, il y avait comme un grand trou noir au milieu de la M.J.C. Comme s’il y avait eu une explosion. Une déflagration d’une violence inouïe qui avait englouti toute possibilité de paroles, de gestes, de sourires, de colères aussi.

La M.J.C venait d’être refaite à neuf. Les peintures étincelaient. Les sols luisaient sous les serpillières. Mais c’était comme si on avançait au milieu d’un champ de ruines.

Un homme jeune s’était donné la mort.

Juste avant que l’on inaugure les nouveaux aménagements de la salle de théâtre dans laquelle il devait travailler.

En décidant de s’arracher du monde il avait emporté avec lui une part de la vie de tous ceux pour qui il comptait.


Je suis arrivé à Saint-Dizier peu de temps après son départ.

Je ne l’ai donc pas connu. Je ne lui ai jamais parlé. Je crois même n’avoir jamais vu à quoi ressemblait son visage.

Je vois souvent un de ses frères.

Entre nous la sympathie s’est nouée.

Nous essayons d’écrire ensemble.

C’est devant lui que, sans savoir qui il était, j’ai prononcé une des premières fois ce mot d’espérance que je voulais sortir de sa boite.

C’était comme si j’avais jeté une obscénité entre nous.

Il m’a regardé comme si j’étais d’une autre planète.

Venu d’un autre monde inabordable pour ceux qui vivent là.

Mais quelle espérance quand des jeunes n’ont que la mort pour dire qu’ils existent ?

Il n’y avait même pas de la colère dans sa voix. Quelque chose de plus dur. Quelque chose qui se fermait.

Le nom de son frère avait été l’un des noms possibles de l’espérance à Saint-Dizier, et ce nom n’avait trouvé d’issue qu’en se donnant la mort.

Un jour où pioches et marteaux piqueurs firent intrusion dans la M.J.C, on vit un jeune homme pleurer. Il tenait à la main un habit de clown couvert de poussière qu’il venait de tirer des gravats.

C’était l’un des derniers habits de scène de l’absent.

Celui qui venait de le ramasser - lui ou un autre - aurait pu secouer la poussière, et revêtir l’habit rouge à son tour. Manière de prendre le relais. De dire “On continue”. De prononcer le “Malgré tout” qui relance la vie.

Aucun n’a pu le faire. Le temps était encore trop court.

Difficile d’imaginer que c’est au milieu de la poussière et des gravats que l’on va retrouver des petits bouts d’espérance.


Je reviendrai