Si vous voulez bien vous assoir.


« Nous n'avons qu'une rue mais elle fait le tour du monde. » Armand Gatti.  La vie imaginaire de l'éboueur Auguste G.

























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CHRONIQUE N°1 - DANS LA VILLE IL Y A UNE RUE. (par Michel Seonnet)


C’est vraiment une très longue rue. Comme une sorte de digue entre Marne et canal. Un passage obligé. Il faut pas moins de trois quartiers pour la contenir, lui donner un peu de volume, tirer à partir de son axe des sortes de perpendiculaires comme des branches d’oiseaux, ou de fruits, ou d’usines. C’est une rue qui hésite. Qui se referme à peine elle s’ouvre. Qui ne sait si elle doit retenir celui qui passe ou au contraire faciliter sa circulation. Rue de transit ? Rue pour flâner ?

C’est en tout cas une rue qui s’arrête d’un coup. Tout au bout. Qui tourne brusquement sur elle même dans un immense giratoire bâti d’immeubles comme des murs et qui, à cet endroit, semble n’avoir qu’une envie : repartir d’où elle est venue.

Si bien que là encore on hésite. Entre le pathétique d’une ville qui tourne sur elle-même, comme incapable de se trouver un centre, une raison d’être. Et le comique d’une élucubration architecturale où l’on pourrait très bien imaginer, comme dans un film passé en accéléré, un automobiliste qui voulant traverser la ville, roulerait toute la longueur de la rue jusqu’à ce giratoire, et qui, là, lancé à fond comme dans une sorte de flipper géant, rebondirait sur les murs, qui le relanceraient, lui donneraient encore plus de vitesse, le renverraient à contre sens par où il est venu, et le propulseraient jusqu’à l’entrée de la

ville d’où il ressortirait sans jamais l’avoir traversée.

C’est une rue qui semble ne conduire qu’à elle même. Mais c’est une rue où il y a une librairie, sinon je ne serais pas là.

“Librairie Larcelet”. La ville a commencé, pour moi, avec elle. Avec le nom, d’abord. “L’attente L’oubli”. Le titre d’un livre de Maurice Blanchot, Editions Gallimard, 1962. Un livre qui est à porté de main sur l’étagère de mon bureau. A toutes les pages des coups de crayon. Des mots soulignés. Annotés. Ainsi, p.106 : “Il lui demanda : Mais n’avez-vous pas le sentiment que je suis venu vous chercher ici et que je vous ai trouvée ?”

Est-ce une parole adressée à la ville, à la librairie, ou au libraire ? - premier visage vu de cette ville à la rue si longue, premier visage et première évidence : si les villes ont les librairies qu’elles méritent, celle-ci vaut la peine que l’on s’y arrête. Que l’on y travaille. Qu’on aille plus loin dans la rue. Et même au delà de cette rue qui ne conduit qu’à elle-même.

Un extrait de l'Attente l'oubli. Retour en ville. Le temps d'une ville.