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Le temps dune ville (suite) Si lon considère que la ville a quasiment doublé de population dans les cinquante dernières années. Si lon ajoute à cela que ceux qui sont venus étaient majoritairement des jeunes, quils avaient des projets, des attentes de vie. On peut raisonnablement penser que la plus grande part des habitants de cette ville (mais nest-ce pas ainsi dans toutes les villes ?) a ses origines ailleurs. Venus des vallées de la Marne, de la Blaise, venus de lItalie, de Pologne, de Turquie, d'Ukraine, dAlgérie, du Maroc, du Sénégal, tous aujourdhui nen disent pas moins chez nous quand ils parlent de là où ils habitent.
Dailleurs, ici on dit chez nous pour dire la maison. Il faut que je passe chez nous. Jai refait la peinture de chez nous. Chacun chez soi cest chacun chez nous. Aussi, vient toujours le moment où celui qui est arrivé de loin finit par dire chez nous non plus pour désigner ce là-bas si lointain dont il est venu (cela reste le pays, le bled) mais pour désigner ces murs ici, ce toit, là où un jour il a posé ses valises, puis installé ses meubles, sa famille, jusquà ce que ça devienne chez lui. Chez nous. Avec un tel mot on finirait par croire que la différence nest plus entre ceux qui sont dici et ceux qui sont dailleurs, mais entre ceux qui sont seuls et ceux qui ne le sont pas.
De toutes façons, on sait bien que lon ne fait que passer. Un jour. Un an. Une vie. Les données sont toujours les mêmes. On arrive et puis on sen va. Reste le temps entre les deux. Et dans ce temps, quelle que soit sa durée : la totalité du monde. Sa complexité et son énigme. Celui qui passe et celui qui demeure - louvrier de la dernière heure comme celui qui séchine toute une vie - ont le même monde en partage. Maintenant. Il suffit dun instant.
Il suffit dun lieu. Nimporte quel lieu. Il suffit dun ici. Puisque nous navons rien choisi. Nous avons été parachutés au milieu de nos vies. Nous navons rien demandé, et voilà : nous sommes là. Il nous faudra bien tout le temps du passage pour comprendre ce que nous y faisons. Ecrire peut y aider.
Souviens-toi que tu es un étranger - parole dite par Dieu à tous les descendants dAbraham, à toutes les étoiles, à tous les grains de sables de la mer. Nous avons tous en commun dêtre des étrangers dans nos propres vies. Nous essayons simplement de rendre notre chez nous moins hostile. Doù le prestige de létranger, du voyageur, dans bien des histoires du monde qui cherchent à approcher lénigme. Il faudrait, quand on construit les villes, commencer par dresser un monument à létranger que nous sommes tous. Certains - avec de solides raisons - y verraient même un monument dressé à Dieu lui-même.
La terre du sédentaire - cest celle de ses pères. La terre de limmigré - celle de ses enfants. Lun est lié par ses racines, lautre par ses pousses. Mais à hauteur de tronc, difficile de reconnaître lun de lautre.
Pour les étrangers qui restent, on a construit les villes.
Cest pour cela que la plupart des villes commencent avec un port, un quai, une gare.
A chacune de mes arrivées à Saint-Dizier - et bien que souvent il ny eût pas grand monde qui descendît du train ou de lautocar - javais le sentiment de débarquer en compagnie de tous ceux et celles qui, valise à la main, un jour, étaient arrivés là, et avaient décidé de rester. Ceux et celles que je retrouvais un peu plus tard dans les locaux de lAHMI, hommes et femmes de tous âges, de différentes origines, et qui tous, en débarquant, avaient regardé la ville avec les mêmes yeux denfants. Michel Seonnet. |
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