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“ Paysage Fer ”


Extraits de Paysage fer, un roman de François Bon (éd. Verdier, 2000). Des mois durant, à l’occasion des nombreux voyages qu’il effectue sur la ligne Paris-Nancy, l’écrivain ouvre son carnet : il se livre à un “ travail du regard sur ces apparitions répétées, fragmentaires, discontinues ” que suscite la course du train. Depuis son point de vue mobile, depuis la fenêtre d’un Corail ou d’un TER (train express régional), François Bon arrache patiemment la beauté aux paysages dévastés qu’il traverse : friches industrielles, jardins ouvriers à l’abandon, monticules de ferraille et pans de briques…


Puis : le mur bleu à étroite frise jaune de Varney Industrie, ce qu'il y a de l'autre côté du mur et ce qu'on y fabrique (le bâtiment une centaine de mètres pourtant) on ne saura pas.

Puis : l'usine à papier juste avant Longeville, près Bar-le-Duc, où les stocks de bois sont sous arrosage permanent.

Puis : l'usine bleue, moderne et basse, horizontale, qui fabrique à Toul ces mêmes citernes et silos inoxydables qu'on a vus tout au long de la voie, et dans les champs derrière l'alignement des stocks comme de géants en marche : les grandes bonbonnes verticales brillantes avec leurs appareillages. Cette fois, c'est le nom de l'usine que pas moyen de savoir.

Casses de voitures, trois, en bord de voie, leurs empilements. Celle de Meaux, celle de Bar-le-Duc et celle de Frouard avant Nancy, avec chaque fois un tas plus clair réservé à l'électroménager avant la presse : cubes émaillés blancs en attente. La pelleteuse à grappin ou fourche immobile sur l'allée boueuse, et les bureaux plats aux lampes allumées.


(…)


Commercy encore, ces maisons délaissées quand on s'éloigne, et dans ce brutal ralentissement en courbe du train quand on arrive, ce qui en est le complément social : la maison du maître de forge aux deux étages avec balcon et perron, le bras d'eau aménagé et l'usine tout auprès, l'usine qui s'était mise à rogner par bâtiments juxtaposés vers la maison du maître de forge et puis maintenant des bâtiments sans vitres ni toits et le parc un fantôme de broussailles, l'eau stagne et les choses de l'usine on dirait qu'elles vont basculer pour l'étouffer, tout est mort ici d'un coup. Comprendre qu'on est d'un monde qui se reconstruit mais à côté, quand on se déplace soi-même d'un point à l'autre on ne s'occupe pas des zones mortes, que le train continue d'exposer côte à côte : les maîtres inconnus de Tréfileurope, bâti ment neuf, n'ont plus château à côté de leur usine.

Inondation, ce jeudi-là un pays fait tout entier de collines comme des îles, chacune avec son village et non pas de phares mais le clocher seulement, droit dans la brume éparant les deux reflets gris du ciel et des eaux, pour signaler les ports ou l'accostage, la Marne comme une mer.